Pensée du 28 mars 20

Nous verrons (…) que la vie ne peut être comprise dans une contemplation passive; la comprendre, c’est plus que la vivre, c’est vraiment la propulser. Elle ne coule pas le long d’une pente, dans l’axe d’un temps objectif qui la recevrait comme un canal. Elle est une forme imposée à la file des instants du temps, mais c’est toujours dans un instant qu’elle trouve sa réalité première (…). Il n’y a que la paresse qui soit durable, l’acte est instantané. Comment ne pas dire alors que réciproquement l’instantané est acte? Qu’on se rende donc compte que l’expérience immédiate du temps, ce n’est pas l’expérience si fugace, si difficile, si savante, de la durée, mais bien l’expérience nonchalante de l’instant, saisi toujours comme immobile. Tout ce qui est simple, tout ce qui est fort en nous, tout ce qui est durable même, est le don d’un instant. On se souvient d’avoir été, on ne se souvient pas d’avoir duré (…). La mémoire, gardienne du temps, ne garde que l’instant; elle ne conserve rien, absolument rien, de notre sensation compliquée et factice qu’est La psychologie de la volonté et de l’attention — cette volonté de l’intelligence—nous prépare également à admettre comme hypothèse de travail la conception (…) de l’instant sans durée. Dans cette psy­chologie, il est bien sûr déjà que la durée ne saurait intervenir qu’indirectement; on voit assez facilement qu’elle n’est pas une condition primordiale: avec la durée on peut peut‑être mesurer l’attente, non pas l’attention elle‑même qui reçoit toute sa valeur d’intensité dans un seul instant, la durée.

Gaston Bachelard, L’intuition de l’instant, 1932, Éd. Gonthier, coll. Médiations, pp 22‑23

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