L’Atelier des concepts
Semaine du 11 janvier 2010
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Chers autres dans le Tout Autre,
Nous voici déjà embarqués dans le navire de l’année 2010, laissant derrière nous celui de l’année 2009. Au regard de cette merveille où nous avons célébré ce qui, sans temps, nous a donné un nouveau temps pour nous exercer à suivre le « sans temps », je m’en vais vous souhaiter mes vœux les meilleurs. Plaise donc au Tout autre de réaliser nos attentes de bonheur. Lequel bonheur nous aidera à nous situer dans la proximité de ce qui constitue l’ultime individualité de notre individuel.
Chers athéniens, chers autres dans le Tout Autre, vous dont le voisinage dans le savoir constitue pour moi le chemin qui mène à mon soi, je vous formule mes vœux choisis de paix et de santé. Plaise au Tout Autre, ce « sans temps » qui dans son ineffable kénose, nous retrace les lueurs d’espérance, de nous approcher un peu plus de lui. Puissions-nous en cette nouvelle année être la nouvelle crèche qui apporte la fraîcheur de la vie. Comme don de cette nouvelle année, je nous offre cet article afin de continuer notre pèlerinage philosophique. Vous voudriez bien découvrir et recevoir de mon être-vie, toute ma reconnaissance et que l’Être puisse bouillonner un peu plus en nous.
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L’entente comme essentialité de la tâche herméneutique chez Hans Georg GADAMER
Elvis Aubin Klaourou
L’objet de cette réflexion est de définir la tâche herméneutique chez Gadamer. Une telle ambition exige dès l’amorce de ce travail, que nous répondions à la question qui se pose d’elle-même sur le sens de l’herméneutique. Pour mieux appréhender ce sens, il nous faut aller à la source de ce concept, c’est-à-dire, le visiter en sa résonance étymologique. Dans cette perspective, l’herméneutique pourrait être saisie comme médiation en vue de produire un message intelligible. Dans les emplois qu’en fait la langue grecque, ce message porte, en règle générale, un caractère de vérité, d’autorité, d’authenticité, et se réclame parfois d’une origine divine[1]. A la lumière de son sens étymologique, l’herméneutique et plus précisément la philosophie herméneutique se définit comme art de comprendre (verstehen) et d’interpréter (auffassen)[2]. En elle, l’herméneute tente de « relire et de comprendre le texte d’autrui afin d’annoncer la pâque spéculative de la résurrection du sens »[3].
Telle que développée par Schleiermacher dont les recherches constituent le sol de l’éclosion du paradigme herméneutique, elle est un art ; mais c’est progressivement, et d’ailleurs en vertu d’un développement tout naturel, qu’elle le devient. Dès lors, il n’est pas hasardeux d’affirmer que la pointe herméneutique de Schleiermacher se manifeste dans la conception selon laquelle, la tâche de l’herméneute consiste à chercher à comprendre aussi bien et même mieux que l’auteur. C’est d’ailleurs ce qu’il tente de révéler lorsqu’il affirme que : «nous pouvons et devons amener à la conscience claire ce qui pour l’auteur lui-même demeurait inconscient à ses yeux, il est en effet nécessaire que s’établisse un contact aussi direct que possible entre l’interprète et l’interprété »[4].
Ainsi remarquons-nous que Schleiermacher pose l’action herméneutique sur la base psychologique dans la mesure où l’herméneute par une sorte d’épochè de ses préjugés, est invité à communier à l’âme de l’auteur pour ensuite, se laisser féconder par l’intuition qui fut celle de l’auteur. Cette approche de Schleiermacher semble réduire le sens du texte au sens « voulu » par son auteur.
Or, peut-on affirmer que le sens d’un texte se résume au sens « voulu » ? En d’autres termes, la compréhension n’est-elle rien d’autre que la reproduction d’une production originaire [5]? Il est clair que cette position ne peut pas valoir pour l’herméneutique Gadamérienne. Car selon lui, la philosophie ne commence jamais à zéro, elle doit continuer à suivre la langue que nous parlons et la penser jusqu’au bout[6]. Avec Gadamer, il appert que la tâche herméneutique déborde les cadres méthodologiques élaborés par Schleiermacher. En ce sens, il affirme que « l’herméneutique issue de Schleiermacher apparaît comme un affadissement dans l’ordre méthodique.»[7] Il nous faut ici préciser la notion de préjugé chez Gadamer.
S’agissant des préjugés, la philosophie herméneutique de Gadamer se présente aussi comme un effort de réhabilitation des préjugés de la compréhension. Dans la perspective d’une herméneutique véritablement historique, Gadamer se demande sur quoi doit se fonder la légitimité des préjugés et qu’est-ce qui permet de les distinguer ? Il dit que « si l’on veut rendre justice au caractère historique fini de l’être humain, il faut réhabiliter fondamentalement le concept de préjugé et reconnaître qu’il existe des préjugés légitimes. » Gadamer s’insurge de la sorte contre l’exigence globale de l’Aufklärung, dont la raison critique écarte les préjugés. Pour lui, les préjugés sont une condition de la compréhension ; ils permettent de s’insérer dans le procès de la transmission. Les préjugés, mis en lien avec l’autorité de la tradition, sont le point de départ du problème herméneutique. (Vérité et Méthode, 115-116)
Ceci dit, tout comme Schleiermacher, Gadamer appréhende la philosophie herméneutique comme art de compréhension. Cependant contre celui-ci, il soutient que la compréhension consiste à reconnaître et laisser valoir, c’est-à-dire à comprendre ce qui nous prend. Il est donc établi que chez ce penseur, « la tâche de l’herméneutique est d’éclairer cette merveille de compréhension qui n’est pas une communication mystérieuse des âmes, mais une participation à un sens commun »[8]. Autrement dit, ce qui est visé dans l’exercice herméneutique, c’est l’entente qui se crée lorsque l’interprète et l’interprété se sont accordés sur le même sens. Dans le jeu herméneutique, l’on aboutit à une triple entente.
Il s’agit de celle qui se crée en l’herméneute lui-même dans la remise en cause de ses préjugés. Ensuite l’on assiste à celle qui se produit avec l’auteur, député de toute la tradition qui sous-tend le texte. Et enfin celle qui unit l’interprète avec le Tout autre qui en réalité lui fait signe dans l’acte de la compréhension. Car, nous dit Gadamer toute compréhension commence par le fait que quelque chose nous appelle[9]. En effet, « ce qui est en question, ce n’est pas ce que nous faisons, ni ce que nous devons faire, mais ce qui survient avec nous, par-delà notre vouloir et notre faire. » (Vérité et Méthode, p. 8). Somme toute, La compréhension vient au jour dans l’entente. Pourtant, le modèle fondamental de toute entente est le dialogue, la conversation. C’est donc dire que l’entente au rythme du dialogue est l’essentialité de la tâche herméneutique. Mais en fait qu’est-ce que le dialogue ? Telle sera la préoccupation de notre future méditation dans le penser gadamérien.
Elvis Aubin Klaourou
>>>L’herméneutique à l’école de Paul Ricoeur
[1] Friedrich SCHLEIERMAHER, Herméneutique, trad. Mariana Simon, Paris, Ed. Labores et fides, 1987, p. 5.
[2] Hans Georg GADAMER, La philosophie herméneutique, trad. Jean Grondin, Paris, Ed. PUF, 2008, p. 5.
[3] Ludwig Feuerbach, L’essence du christianisme, trad. Jean Pierre GROSSEIN, Paris, Ed. Tel Gallimard, p. 17.
[4] Friedrich SCHLEIERMAHER, Herméneutique, Op., Cit., p. 21.
[5] Hans Georg GADAMER, La philosophie herméneutique, Op., Cit., p. 101.
[6] Ibidem, p. 48.
[7] Ibidem, p. 75.
[8] Ibidem, p. 74.
[9] Hans Georg GADAMER, Le problème de la conscience historique, trad. Pierre FRUCHON, Op., Cit., p. 88.