Ontologie – Métaphysique

Semaine du 28 septembre 09

L’ontologie, du grec ontos (être) et logos (discours), est la science de l’Etre en tant qu’Etre, selon l’expression d’Aristote (Mét. Z1, 1028b). Elle répond à la plus ancienne des questions de la philosophie : qu’est-ce que l’être ? C’est-à-dire qu’est-ce qui est ? qu’est-ce que l’être pour tout ce qui est ? Elle est la  doctrine de l’être, en quelque sens que l’on prenne le mot être. C’est l’étude des propriétés générales de tout ce qui est, de ce qui vient à l’être, de ce qui a à être, de ce qui doit être conforme à l’être. Plusieurs conceptions de l’être parsèment l’histoire de la philosophie.

La scolastique a identifié l’ontologie à la métaphysique, science qui étudie les déterminations générales de l’être. Elle la maintenait surtout dans les schémas de la métaphysique substantialiste. A l’époque moderne, les distinctions se durcissent. L’ontologie, la science qui étudie l’être et ses déterminations communes, fait partie de la métaphysique générale, par opposition à la métaphysique spéciale. Cette dernière comprend la théologie rationnelle (étude de être de Dieu), la psychologie rationnelle (l’être de l’âme) et la cosmologie rationnelle (l’être du monde). L’ontologie dans son évolution a ouvert des champs divers touchant aussi bien à la philosophie, à la linguistique, qu’à l’intelligence artificielle. Depuis le XIXe siècle, on distingue l’ontologie formelle et l’ontologie régionale (Husserl), l’ontologie fondamentale (Heidegger), l’ontologie analytique (Frege et Russell). L’ontologie se particularise de plus en plus au point qu’on parle même d’une ontologie de la chair (Merleau-Ponty), d’une ontologie de l’agir (Ricœur) …

Même si Parménide est considéré dans la philosophie occidentale comme le père de l’ontologie avant Aristote, et que la science ne s’est vraiment constituée qu’avec les scolastiques, ce vocabulaire est moderne. L’ontologie en tant que métaphysique générale est née au XVIIe siècle, elle prendra un relief particulier dans la philosophie de Christian Wolff. La philosophie critique de Kant inventera l’expression onto-théologie pour désigner cette partie de la métaphysique qui relie ce qui existe indépendamment de l’expérience à la théologie. Aujourd’hui, après le tournant existentialiste de la philosophie, la problématique de l’être s’inscrit dans le prolongement de la phénoménologie existentielle. Désormais s’interroger sur l’être revient essentiellement à pointer l’être de l’homme. C’est ainsi que la question de l’être touche plus que jamais à celle du sens et du fondement de l’existence humaine.

Nous reprendrons un peu plus en détail la relation que l’ontologie établit avec les différents domaines de connaissance que sont la métaphysique, la science, le langage et la phénoménologie, avec en arrière plan, une lecture structurée de l’article Ontologie de Paul Ricœur dans L’Encyclopédie universelle. Cette lecture analytique nous offrira l’occasion de suivre les métamorphoses de ce concept d’origine grecque.

Ontologie et métaphysique

Paul Ricœur établit une rigoureuse distinction entre « ontologie » et « métaphysique ». Il donne un sens non métaphysique à la question de l’être. Dans son article sur l’Ontologie, enquête ontologique publiée dans l’Encyclopédie universelle, Ricœur reconnaît que le destin de l’ontologie s’est pendant longtemps confondu avec celui de la métaphysique. Mais en dépit du fait que ontologie et métaphysique se recouvrent historiquement, « on ne doit pas tenir pour accordée l’identification entre ontologie et métaphysique, car la question de l’ontologie est plus grande que la réponse de la métaphysique ». Si la métaphysique y satisfait dans une certaine mesure, l’ontologie ne se passe pas moins de la métaphysique. L’ontologie, née chez les Présocratiques avant la métaphysique comme discipline philosophique, se prolonge même par-delà la « fin de la métaphysique » prônée par Heidegger et Kant.

Dans le monde grec, le Poème de Parménide permet de saisir l’affirmation ontologique avant la métaphysique : l’être est. Il est intemporel et immuable. De son côté, Platon viendra substituer un pluralisme ontologique au monisme de Parménide. Quant au platonisme des formes intelligibles et de la transcendance des Idées, elle est déjà une métaphysique. Lorsque l’ontologie du concret d’Aristote remplace l’ontologie essences idéelles et des entités intelligibles de Platon, l’ontologie aristotélicienne se décline comme la science qui étudie l’Etre en tant qu’Etre et les attributs qui lui appartiennent essentiellement. Chez Aristote, l’Etre a une signification multiple mais il signifie à titre primordial la substance, l’ousia (étance) non pas l’attribut mais le sujet dont tout le reste est affirmé. En effet, toutes les autres significations de l’être renvoient à la substance. La science de l’Etre en tant qu’Etre que défend Aristote ne considère pas les êtres particuliers mais ce qu’il y a d’être dans tout être. Qu’est-ce qui en fait alors une métaphysique à la suite de Platon ?

L’ontologie d’Aristote est métaphysique par l’affirmation de l’intelligibilité du réel, du primat de la substance comme forme immuable (métaphysique des formes substantielles) et l’élévation de la science de l’Etre en tant qu’Etre au titre de philosophie première (onto-théologie selon Kant). Celle-ci s’occupe des êtres séparés et immuables qui constituent la sphère du divin. Ainsi, d’après Ricœur, la substance divine se conçoit comme la signification première de l’être au nom du « lien de continuité analogique entre l’Etre en tant qu’Etre de l’ontologie et l’Etre premier de la théologie… Cette coalition entre la théorie de l’Etre en tant qu’Etre et celle de l’Etre premier a scellé le destin de la métaphysique occidentale. » C’est sous l’identification de la métaphysique et l’ontologie que l’ontologie tombe sous la critique kantienne.

Paul Ricœur, certainement fidèle héritier de Kant, appelle donc « métaphysique » l’orientation de toute ontologie vers une théologie rationnelle. C’est cette tendance métaphysique que Kant et Heidegger qualifieront d’onto-théologie. Kant désigne par métaphysique l’ontologie de ses prédécesseurs. La philosophie kantienne, en établissant l’impossibilité de connaître les êtres non sensibles, marque le coup d’arrêt définitif de la métaphysique au sens de l’ontologie et de l’onto-théologie. Une « philosophie des limites » succède aux thèses dogmatiques de la métaphysique traditionnelle, placées par la critique kantienne sous le signe de l’« illusion transcendantale ». Ricœur écrit à ce sujet que « jusqu’à Kant, l’histoire de l’être, c’est l’histoire de la métaphysique. Et pourtant la question de l’être ne s’y épuise pas ; c’est même parce que la question est plus grande que la réponse de la métaphysique qu’elle ne cesse de renaître sous des formes nouvelles. »

Toutefois, Ricœur relève que la philosophie kantienne est en même temps la démonstration que la question de l’être renaît des cendres mêmes de la métaphysique parce que la « chose en soi » reste le fondement du « phénomène » et toute la philosophie pratique de Kant est une tentative pour déterminer la notion d’être à partir de la liberté. La métaphysique innerve l’ontologie mais l’ontologie n’est pas seulement la métaphysique. C’est pourquoi la philosophie post-kantienne se penchera sur la question de la possibilité d’une ontologie sans métaphysique. Dans les domaines de la science, du langage, de la phénoménologie… la problématique ontologique se pose autrement.

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L’Atelier des concepts,

Emmanuel AVONYO, op

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