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Pensée du 24 novembre 09

« Le prudent d’Aristote est plutôt dans la situation de l’artiste, qui a d’abord à faire, pour vivre dans un monde où il puisse être véritablement homme. La morale d’Aristote est, sinon par vocation, du moins par condition, une morale du faire, avant d’être et pour être une morale de l’être. »

Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote

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GRILLE DE LECTURE

Difficile de réfréner son plaisir devant l’hommage que le disciple rend à son maître. La prudence chez Aristote est un des traités de morale les plus consultés sur Aristote. Pierre Aubenque place la prudence au centre de la morale aristotélicienne. Et cette prudence n’est pas à confondre avec la passivité ou la morale couarde du moindre risque. Si elle se rapporte à l’être, c’est d’abord à un être conscient de la part active qu’il doit prendre dans le cosmos. Aristote ne confond pas la vie morale avec la contemplation sans action, ni avec la volonté droite, s’il en est une.  Pour lui, la vie morale commande d’adapter constamment les fins aux moyens et les moyens aux fins. Et c’est à cela que sert la prudence.

Cette définition de la prudence fait penser aux sages stoïciens qui se considéraient comme « une œuvre d’art » reflet d’un monde achevé. L’homme aristotélicien n’est pas a priori un sage. Aucun savoir humain ne peut combler l’abîme qui sépare l’homme de la sagesse. A défaut, il peut être au moins prudent. Cela requiert que l’homme agisse, faute de mieux. Pour Pierre Aubenque, vu la contingence du monde, et en attendant le pouvoir de réaliser en nous-mêmes l’ordre que nous contemplons dans le Ciel, il nous appartient d’ordonner le monde nous s’engageant prudemment en lui selon le vœu d’Aristote.

Aristote distingue l’habileté technique, indifférente à ses fins, de la prudence qui est morale dans ses fins comme dans ses moyens. Après Aristote, Kant définissait la prudence comme l’habileté dans le choix des moyens qui nous conduisent à notre propre bonheur. La morale est de l’ordre de action, et la prudence, du travail. La morale de la prudence vise l’être, le bonheur. La prudence est pour ce faire une vertu de l’action et de l’être. L’homme ne se rationalise que dans un faire qui vise l’être. C’est cette idée de prudence qui a sans doute inspiré André Comte-Sponville lorsqu’il écrivait que le principe de précaution n’est pas un principe d’inhibition mais de l’action. C’est pourquoi « le risque zéro, c’est de n’être pas né, ou d’être déjà mort. Vivons donc prudemment, mais sans nous laisser paralyser par la peur. »

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 23 novembre

L’academos

Sommaire

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Contemplation

Hercule capture vivant un sanglier ! Gageure que de réaliser ce travail. Heureusement, il y a la neige, il y a le moyen d’épuiser l’animal, de le forcer à ralentir sa course. Il importe de le recueillir. Et pour recueillir ce que l’on cherche, il y lieu de se recueillir soi-même. L’invitation d’Hercule en ce jour est une leçon d’intériorité. Le héros te propose, cher compagnon, de t’asseoir dans l’instant présent, d’y faire silence pour te construire un espace d’éternité. N’est-ce pas ce dont nous avons le plus besoin, nous qui vivons à l’ère de la vitesse efficace et des défis qui tuent ?

Se recueillir, se concentrer, rassembler ses forces, contempler, réfléchir. Autant d’actions qui, bien menées, conduites à leur terme ultime, procurent l’extase et le ravissement, le transport et la béatitude, mais aussi la peur des faibles, la fuite des pusillanimes (Eurysthée se réfugie dans un tonneau à la vue du sanglier). Contempler, n’est-ce pas ce que font le prêtre et le poète, l’artiste et le philosophe, l’Homme lorsque, “assis au bord du gouffre, il scrute l’abîme du désespoir, du mal et du doute, puis tourne son regard vers le ciel et retrouve le chemin de l’azur et de la rédemption, par l’amour qui est, au bout du compte, sa seule religion” (Leili Anvar)? Cher compagnon, Hercule, en capturant le sanglier, t’invite à visiter l’intérieur de ta terre. Et comme c’est un exercice solitaire, le fils de la Liberté t’y abandonne. Mejnour te salue!

LE BILLET DE MEJNOUR, TROISIEME TRAVAIL

Mejnour ben HUR, mejnourbh@gmail.com

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L’ouverture à la transcendance

Le penseur de l’être vrai ne peut éviter l’irruption de la transcendance. L’être n’est pas qu’une catégorie de la compréhension mais surtout une position de la contemplation, c’est-à-dire une catégorie de l’écoute. L’être est événementiel, l’être est in-stance et événement inattendu, selon le Maître Heidegger. Si la theoria est la forme la plus élevée de l’activité pensante, c’est parce que c’est là où l’homme écoute plus qu’il ne produit. L’homme ne parvient à un certain niveau de production artistique ou philosophique qu’à la condition de faire de l’écoute un acte de profonde adhésion à l’être. L’être est surgissement et ne peut être l’objet d’une production. Il est donation et ne connaît  pas d’usurpation matérielle. Il ne se donne à effleurer dans son jaillissement que comme une « altérité de surprise, le surgissement soudain et comme de biais, le dérangement de l’histoire » (Michel de Certeau), la gravure subreptice et poétique de la singularité.

L’homme théorique, le contemplatif, le philosophe ou l’artiste, c’est l’homme de la Gelassenheit. C’est l’homme sollicité par l’être qui s’innerve de l’affleurement de l’indicible, s’immerge dans une perception indicible. L’homme, est un poème commencé par l’être, disait Heidegger, il se tient à l’écoute de celui le fait advenir continuellement à l’être. L’homme convoqué par les dieux n’a qu’à se laisser toucher par eux dans un état de ravissement inénarrable. La figure du divin n’est perceptible que dans ce jeu des médiations où l’homme ne peut prétendre à aucune maîtrise, lui-même étant événement, être-donné, altérité intermittente, dans la béance et la facticité du monde. Cette facticité le fait vite prendre conscience que seule la convivialité humaine est la condition nécessaire  mais non suffisante de son enracinement affectif dans l’être. L’homme est un être de contingence. Mais la noblesse de son âme est le premier témoin de son ouverture conscientielle à la transcendance.

Emmanuel AVONYO, op

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