Analyse philosophique du Discours de saint Paul à Athènes

DE LA PREUVE METAPHYSIQUE DE L’EXISTENCE DE DIEU A LA RENCONTRE DU DIEU INCONNU DANS LE DISCOURS DE SAINT PAUL A ATHENES(Actes, 17, 22-32).VOIR LA PREMIERE PARTIE ?

DEUXIEME PARTIE

ANALYSE PHILOSOPHIQUE DU DISCOURS DE PAUL A LA LUMIERE DE LA PREUVE METAPHYSIQUE DE L’EXISTENCE DE DIEU

Elvis-Aubin KLAOUROU, e.klaourou@yahoo.fr

Les réflexions suivantes proposent un essai philosophique à la lumière métaphysique. Elles opèrent une analyse dont la quiddité sera une relecture du discours Paulin à partir des traits caractéristiques de la preuve métaphysique de l’existence de Dieu. Mais avant, quelles sont les caractéristiques de cette preuve métaphysique de l’existence de Dieu ?

Les preuves métaphysiques de l’existence de Dieu ont toutes pour but de démontrer, au moyen de la raison, Dieu, son existence et sa relation avec l’homme et le monde[1]. Les preuves de l’existence de Dieu s’appuient,  pour la plupart,  sur une expérience externe ou interne immédiatement  intelligible à partir de laquelle en passant par des degrés de la pensée méthodiquement réfléchis et déduits avec une logique rigoureuse, elles prétendent rendre évidente l’existence de Dieu sans avoir recours à des données théologiques. Le principe métaphysique qui le sous tend, permet de passer du sensible à l’intelligible, du fini à l’infini.

Prenant son point de départ dans l’univers ou dans l’homme, la preuve métaphysique de l’existence de Dieu posera au point de départ un fait réel, un acte d’exister. L’existence est un acte, une richesse. La preuve métaphysique découvre dans le réel, une imperfection, une indigence, des signes de dépendance qui certifient que l’être de l’expérience n’est que le reflet d’un être plus haut. Il est l’ici d’un ailleurs.

Aussi s’appuie-t-elle sur le principe de causalité selon lequel, tout ce qui est, a sa raison d’être, tout doit rendre compte de soi à l’intelligence et tout ce qui est, a sa raison d’être en soi l’a nécessairement en un autre. Par delà ce principe de causalité, la preuve métaphysique de l’existence de Dieu part sur le principe de finalité dont la formulation universelle se présente comme : tout agent agit en vue d’une fin. Autrement dit, une activité serait dépourvue de raison d’être si elle ne s’oriente pas vers le bien, vers un objet d’appétit ou de désir.

Or si le principe de causalité entre en jeu dans les preuves métaphysiques, elles doivent conduire toutes à l’existence d’une cause suprême, d’un Dieu (pour les religieux) qui existe par lui-même. Il est en et pour soi : absolu (a se : aséité). En un mot, ‘‘ il est et fait être tout ce qui  existe en communicant par sa libéralité de l’être’’. Les êtres sont participations à l’être de Dieu. Sans aucun risque d’erreur, nous comprenons à partir des principes de causalité et de finalité que Dieu jouit des attributs tels que aséité (l’être même subsistant, l’être même en qui se confondent essence et l’existence bref, l’Acte d’exister absolument indépendant). Il a en soi sa raison d’être, transcendance (unité, vérité et bonté), infinité et sagesse infinie. Au regard des preuves métaphysiques de l’existence de Dieu, force est de reconnaître que ces preuves sont garanties par la théorie de l’abstraction et de celle de l’analogie. En clair, l’esprit procède à la fois par négation et par relation. N’est-ce pas cette même méthodologie métaphysique qui a guidé Paul tout au long de son discours !

Tout comme la preuve métaphysique de l’existence de Dieu dont le point de départ est l’existence, le discours de Paul part du réel qui l’entoure. Il l’observe .Après quoi, il porte son attention sur l’autel consacré au dieu inconnu[2]. Ainsi son argumentaire, qui part de la réalité athénienne procède par analogie, c’est-à-dire par similitude. Il s’appuie sur les dieux athéniens puis, au moyen de la négation aboutit à la conclusion du Dieu unique qui, contrairement aux dieux des athéniens, n’habite pas les temples construits des mains des hommes[3].

Aussi constatons-nous que le Dieu que Paul vient annoncer aux athéniens jouit des mêmes attributs que celui présenté par la preuve métaphysique. Ces attributs (aséité, transcendance, principe sans principe, Sagesse infinie et bienveillance) lui permettent de donner l’être, le mouvement et la vie à tout ce qui est[4].  En définitive, nous pouvons dire que le discours de Paul a un fondement philosophique. Il a pour vocation de démontrer l’existence de Dieu d’une part et de définir ses attributs d’autre part. Sa démarche s’identifie à celle de la preuve métaphysique de l’existence de Dieu. Pourtant, malgré la cohérence et le caractère rationnel de son discours, il ne réussit pas à avoir l’adhésion de ses auditeurs au sujet de la résurrection qu’il tente de leur faire comprendre. Puisque la suite du texte nous instruit du fait qu’en entendant les mots de jugement futur, de résurrection des morts, les athéniens n’y accordent plus de crédit à l’apôtre. Par le fait qu’il considère son discours comme une progression ascendante dans l’absurdité.Un tel échec du discours Paulin malgré son caractère philosophique ne nous révèle-t-il pas que Dieu ne peut être dit dans sa forme totalisante ou dans sa théité ?

DIEU AU-DELA DU CONCEPT

Les questions de fond qui mobilisent notre attention à ce stade de notre développement sont les suivantes : le logos peut –il épuiser la question de Dieu ? Comment l’homme  peut-il se tenir devant ce qui est au-delà de lui-même ? A ce sujet, point n’est besoin de rappeler que ces questions ont fait objet de nombreuses controverses chez les philosophes. Des penseurs tels que Descartes, Spinoza, Hegel attestent que le logos peut rendre compte de Dieu et en livrer ses attributs. L’évocation, par exemple, de la volonté de Dieu comme explication du déploiement du réel est perçue par Spinoza comme ‘‘l’asile de notre ignorance’’[5]. Il n’y a pas l’ombre d’un doute. Pour Spinoza, Dieu est connaissable à travers ses attributs que  sont la pensée et l’étendue. Pensée selon qu’il est source de toute intelligibilité mais aussi lui-même intelligible. Non seulement il est celui en qui tout est intelligible, mais il est lui-même intelligible. Il est étendu selon qu’il est contemporain du monde. Cette réflexion de Spinoza semble recevoir l’approbation de Hegel pour qui la raison humaine participe de la raison divine. La raison en ce sens est donc le divin en nous. Dieu est connaissable parce qu’esprit, il se manifeste, s’extériorise. Pour Hegel, ce qui ne se manifeste pas n’est pas. Par cette démarche, Hegel et Spinoza expriment le désir du rationalisme et veulent tout soumettre à la raison. Dans cette perspective, l’on comprend que seule l’ignorance appelle miracle ce qui ne peut être expliqué.

Par ailleurs, selon la définition de Vatican I (1870), Dieu est fondamentalement et effectivement susceptible de preuves[6]. Une telle déclaration montre bien que Dieu peut être connu au seul moyen de la raison sans qu’on ait besoin de faire recours à la foi. Dès lors le discours de la métaphysique sur l’existence de Dieu et celui de la théologie naturelle achèvent de nous convaincre qu’on peut signifier Dieu et rendre son existence évidente.

Pourtant, si le vrai est ce que la raison conçoit clairement et distinctement, comment comprendre que les preuves de l’existence de Dieu proposées par la théologie naturelle et la métaphysique n’aient pas été universellement admises ou qu’elles n’aient au moins contraint l’entendement comme les démonstrations de Pythagore et le fait que la terre tourne autour du soleil? Toutes ces questions se meuvent dans les problématiques suivantes : comment, dans le langage humain, parler de celui ou de ce qui est au-delà de la tension « objet/sujet » et ainsi en quelque manière au-delà de ce langage ?

Contrairement à la pensée des philosophes ci-dessus cités, Paul Tillich est convaincu de l’incapacité du logos à dire Dieu dans sa tallité. Il est aussi  persuadé du fait que le dieu présenté par le discours conceptuel est un dieu en dessous de Dieu : il est le dieu du déisme[7]. Celui que Tillich voudrait, au contraire, nous dévoiler, c’est le Dieu véritable, celui qui est au-delà de la caricature conceptuelle. Dès lors, nous comprenons que le fini ne peut porter un discours sur l’infini de sorte à l’atteindre vraiment. Car, dans une preuve, Dieu ne peut rester Dieu. Le discours rationnel court souvent le risque de traiter Dieu comme un objet mathématique ou physique. Un tel processus déductif ne rabaisse-t-il pas Dieu en un objet quelconque qu’on pourrait déduire, découvrir par l’acuité de l’esprit humain.

Enfin nous comprenons que le langage humain va à Dieu de façon oblique. En effet le langage qui tente de dire Dieu relève de l’analogie. Dans ce sens, Tillich dira que le langage humain, pour parler de Dieu, doit se faire paradoxe[8]. Le fond de cette pensée de Tillich n’est pas sans rappeler que le langage qui tente de dire Dieu relève de l’analogie. Et puisque l’analogie est en rapport avec le sensible, il appert que le langage (conceptuel) ne peut dire Dieu et l’atteindre dans sa déité comme le tireur de l’arc espère atteindre son but d’autant puisque Dieu relève du supra sensible. Du coup, il revient à dire que tout discours sur Dieu ne peut être qu’un balbutiement, un bégaiement, un ronronnement sur ce qu’est Dieu dans son autostancité. C’est le lieu de relever que le discours humain est si opaque, si ambigu qu’il importe à l’homme de recevoir de Dieu lui-même le langage divin (le langage de la foi) afin de pouvoir l’atteindre et séjourner en lui. Mais qu’est-ce que la foi ?

Du latin ‘‘fides’’, la foi est un don de Dieu, un don qui s’accueille[9]. Selon Pascal, la foi serait « différente de la preuve »[10]. Car la preuve est humaine et cherche à rendre évidente l’existence de Dieu tandis que la foi permet à l’homme de séjourner dans l’en-soi de Dieu, de le contempler et de le rencontrer. C’est pourquoi Pascal peut dire : « c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison »[11]. Selon Karl Barth, Dieu ne peut être connu que par la foi. Car la raison de l’homme est aveugle à la vérité de Dieu. Et même si la religiosité et la connaissance de Dieu sont certainement possibles à l’homme, et qu’il en possède la faculté , il ne peut cependant atteindre son but. A vrai dire, le Dieu que cette raison humaine connaît par la connaissance naturelle n’est rien d’autre que projection de l’homme[12]. En effet, l’homme ne peut, de par sa seule force rationnelle, atteindre Dieu dans sa nudité. Il doit, pour bénéficier de cette contemplation, arriver à la vision béatifique qui est l’aboutissement du chemin de la foi. Ce Dieu qui se donne à l’homme au moyen de la foi ne peut être prouvé. Il s’éprouve, s’expérimente sur le rude chemin de la foi. La foi est un langage divin qui dépouille l’homme de la particularité, le conduit au séjour et à la participation à la béatitude.  Cette participation est une expérience directe, un cœur à cœur avec l’Absolu,  avec Dieu. La raison ne peut donc à elle seule permettre à l’homme d’atteindre Dieu.

On assiste en somme à une autorévélation de Dieu infini dans l’homme fini et en même temps l’absorption par la contemplation de l’homme fini dans le Dieu infini. Ainsi se déroule le processus dialectique qui est justement philosophique en dernière instance de la connaissance de soi  de la connaissance humaine dans l’absolu et de l’absolu dans la conscience humaine. Par la foi, l’homme expérimente l’être-là de l’infini. Cette marche de l’homme dans la foi consiste à rencontrer le regard de l’infini qui se pose sur lui. Ce regard qui pénètre et atteint l’homme dans son autostancité. Ce regard qui est bien autre chose que deux yeux qui regardent. Dans une telle expérience, le moi profond de l’homme qui, à travers le regards’élance et rejoint Dieu en son moi profond. Et la rencontre de ces deux mois (celui de l’homme et celui de Dieu) produit une explosion de joie, d’amour, de vie et de connaissances absolues. L’admirable dans la relation avec l’infini, c’est de savoir, d’être sûr que le savoir m’est attentif. La faisabilité de cette rencontre est fruit de la vision béatifique qui elle-même est fille de la foi, don de Dieu. C’est pourquoi le pape Jean Paul II, de vénérée mémoire, pouvait dire : « la foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité »[13]. Autrement dit, la foi et la raison sont les deux moyens mis en l’homme par Dieu afin qu’il puisse atteindre la pleine vérité sur lui.

Somme toute, nous retenons que la méditation de ce texte de Paul nous a permis de découvrir qu’il est possible de tenir un discours cohérent, rationnel sur Dieu.

Nous savons donc désormais, avec l’auteur, que Dieu est le principe sans principe, la cause causante non causée l’absolu qui existe par lui-même et qui, grâce à sa sagesse infinie définit le temps, fixe et trace l’habitat des hommes. Ayant procédé par analogie et par négation, nous découvrons à cœur joie une similitude entre le raisonnement de la preuve métaphysique de l’existence de Dieu et celui de Paul.

Enfin nous comprenons que malgré la puissance de la raison à découvrir Dieu et sa prétention à le démonter, elle a besoin de l’aide de ce Dieu afin de l’appréhender dans son infinité. N’est-ce pas l’absence de ce secours qui a manqué à l’auditoire de Paul ? Pourtant, quoi que contesté, rejeté, il lui (le Dieu absolu) arrive de renaître parfois sous des formes imprévues ayant toujours une figure reconnaissable, inaltérée à chacune de ses incarnations puisqu’il participe de l’éternel. Dieu ne pouvant rester Dieu dans une preuve, l’on comprend aisément que le discours de l’homme ne peut que de façon émiettée rendre compte de Dieu. Aucune action ne peut donc toucher l’infini (Dieu) dans sa mêmeté avec succès si elle ne jouit préalablement du secours de Dieu qui est la foi. Ainsi malgré la puissance de la raison à intuitionner la présence de Dieu dans l’univers, elle a besoin du secours de la foi pour contempler infiniment l’infinité de Dieu.

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BIBLIOGRAPHIE

Sources

  • Traduction Œcuménique de la Bible (TOB), Paris, éd. Du Cerf, 1997.
  • Encyclopédie Catholique pour tous, Paris, Droguet/Fayard, 1989.
  • Les actes des apôtres, Verbum salutis VIIè, traduits et commentés par P. Adrien BOUBOU, Paris, G. Beauchesnes, 1933, 592 pages.

 

  • Jean Paul II, Lettre encyclique Fides et ratio aux évêques de l’Eglise catholique sur les rapports entre la foi et la raison, donnée à Rome le 14 septembre 1998, Paris, Médiaspaul, 1998, 62 pages.

Œuvres

 

  • Blaise Pascal, Pensées Extraits, par Robert BARRAULT, Paris, Classique Larousse, 1987.
  • Charles SPURGEON, Je vous ferai pêcheurs d’hommes, une sélection des « causeries à mes étudiants », éd. Europresse S.A.R.L. 1991/1992, 156pages.
  • ETOUNGA MANGUELLE, l’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ?, Ed. Nouvelles du Sud, 1991, p. 154pages.
  • GRAF Alain, les grands courants de la philosophie moderne, Paris, Seuil, 1996, p. 11.
  • KUNG Hans, Dieu existe-il ? Réponse à la question de Dieu dans les temps modernes, trad. Louis SCLEGEL et Justus WALTHER, Paris, Seuil, 1981, p. 614.
  • PETIT Jean Claude, La philosophie de la religion de Paul TILLICH, Genèse et évolution, la période allemande 1919-1933 Montréal, Fides, 1974, 256pages.

Revue

DIBI Kouadio Augustin, « Nécessité de la recherche et des publications en philosophie en Afrique » in Annales philosophiques de l’UCAO (Abidjan) 2005, n0 2, p. 11.

Dictionnaire

RUSS Jacqueline, Mémo Références dictionnaire de philosophie, Paris, Bordas/SEJER, 2004, p. 111.


[1] Hans KUNG, Dieu existe-il ? Réponse à la question de Dieu dans les temps modernes, trad. Louis SCLEGEL et Justus WALTHER, Paris, Seuil, 1981, p. 614.

[2] Actes des Apôtres 17, 23.

[3] Ibidem, v. 24.

[4] Ibidem, v. 28.

[5] Alain GRAF, les grands courants de la philosophie moderne, Paris, Seuil, 1996, p. 11.

[6]Hans KUNG, Dieu existe-il ? Réponse à la question de Dieu dans les temps modernes, trad. Louis SCLEGEL et Justus WALTHER, Op., Cit., p. 613.

[7] Jean-Claude petit, la philosophie de la religion de Paul Tillich, Genèse et évolution, la période allemande 1919-1933, Montréal, Fides, 1974, p. 74.

[8] Ibidem, p.86.

[9] « Foi un don de Dieu » in Théo, l’encyclopédie catholique pour tous, Paris, Droguet-Ardent/Fayard, 1992, p. 532a.

[10] Blaise Pascale, cité par Jacqueline RUSS, Mémo Références dictionnaire de philosophie, Paris, Bordas/SEJER, 2004, p. 111.

[11] Blaise Pascal, Pensées,

[12] Hans KUNG, Dieu existe-il ? Réponse à la question de Dieu dans les temps modernes, trad. Louis SCLEGEL et Justus WALTHER, Op., Cit., p. 596.

[13] Jean Paul II, Lette encyclique Fides et ratio, aux évêques de l’Eglise Catholique sur les rapports entre la foi et la raison, donnée à Rome le 14 septembre 1998, Paris, Médiaspaul.

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