La mort de Dieu

« Avec Feuerbach, Dieu meurt comme être personnel et transcendant, puisqu’il n’est que la projection fantasmée de l’essence humaine. »

Bernard Sève, La question philosophique de l’existence de Dieu.

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GRILLE DE LECTURE

Bernard Sève fait une relecture critique des philosophies de la « mort de Dieu ». Dans sa ligne de mire, Ludwig Andreas Feuerbach (1804-1872), philosophe allemand du XIXe siècle, disciple et critique de Friedrich Hegel. Ce brillant philosophe fut un digne précurseur de Karl Marx, Friedrich Nietzsche et de Sigmund Freud. Feuerbach professe que la croyance en Dieu est une aliénation anthropologique, c’est le signe de l’abaissement des propriétés de l’homme qui les projette sur Dieu. Les déterminations divines sont donc des déterminations humaines idéalisées. Dieu est une projection fantasmée de la nature de l’homme. L’homme s’appauvrit de ce dont il enrichit Dieu. Dieu est mort en tant que production de l’homme et en tant qu’être absolutisé par l’imaginaire de l’homme. Bernard Sève estime que la « mort de Dieu » est une formule devenue très usuelle de nos jours mais qu’il semble absurde de parler littéralement de la « mort de Dieu ». Car la « mort de Dieu » désigne un événement qui ne peut d’aucune manière ni en aucun temps avoir lieu.

Par définition, Dieu est immortel. Il est donc inconvenant de parler de la « mort de Dieu ». Tout d’abord, pour rester dans la logique de Feuerbach, Dieu ne meurt pas puisqu’il vit dans l’humanité. Ensuite, si Dieu vit des propriétés humaines, il n’y a pas de quoi le voir  disparaître avant l’homme. Parler de la « mort de Dieu », c’est proprement faire référence à la disparition de la croyance en Dieu. Pourquoi Dieu meurt-il alors ? Dieu meurt parce qu’il ne vit que de la vie qu’on lui prête (ou qu’on lui aliène, dirait Feuerbach). La vie de Dieu, selon Sève, n’est qu’une ombre, il suffit de cesser d’y rêver pour qu’elle cesse d’être. D’après un texte croustillant et décapant de Heinrich Heine, Dieu est mort d’une mort naturelle. Dieu a été assassiné, et assassiné par Emmanuel Kant. La Critique de la raison pure est le glaive qui tua en Allemagne le Dieu des déistes. Ainsi, on est fondé à penser qu’après le Dieu de la foi, c’est le Dieu de la religion naturelle, de la philosophie du XVIIIe siècle, c’est le Dieu de la raison pure qui meurt.

Tous les dieux, sinon, Dieu dans tous ses apparats humains, sont morts d’une si belle mort qu’on voit comme il est facile de faire mourir Dieu. Bernard Sève veut donc interpréter ce thème de la « mort de Dieu » comme « L’expression littéraire d’un fait sociologique : la disparition de la croyance religieuse dans l’Europe du XVIIIe et XIXe siècles. Ce serait une autre façon de dire la thèse feuerbachienne : les Européens sont devenus pratiquement athées. Cette interprétation est exacte, mais insuffisante » (La question philosophique de l’existence de Dieu, p. 239). Bernard Sève, sans vraiment modérer son propos, soutient que cette forme d’athéisme ne date pas de notre ère. Car, un siècle avant l’an zéro, le Grec Plutarque aurait montré que la mort du dieu Pan (symbole du Panthéon païen) est liée à un affaiblissement de la croyance ou de la foi traditionnelle. Sève ajoute que professer la « mort de Dieu » serait se contenter de retourner contre le christianisme une pièce centrale tirée de la dogmatique.

Emmanuel AVONYO, op

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« Où est Dieu ? … je vais vous le dire. Nous l’avons tué vous et moi. Comment nous consolerons nous, les meurtriers de tous les meurtriers ? … Ne faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraître seulement dignes de nous-mêmes ? »

NIETZSCHE, Ecce homo

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GRILLE DE LECTURE

L’humanité se dilue peu à peu dans la cadence perpétuelle de la misère et de la souffrance. Happés par les crises de tous genres, et dans le but de s’en délivrer, les hommes rencontrent le métaphysicien et le prêtre (députés de Dieu sur terre) qui lui promettent un univers transcendant d’un outre-monde[1]. L’homme religieux par exemple invite l’être humain à s’abandonner à la providence de Dieu. Lequel Dieu est selon la mystique chrétienne, « une larme d’amour versée en cachette sur la misère humaine »[2].

Au cœur de cette mystique chrétienne se dresse dans sa brusque laideur la conviction selon laquelle l’homme est fils adoptif, racheté en son unique fils Jésus-Christ avec qui, il est cohéritier. Il est co-héritier d’un héritage qui se nomme paradis et dont la beauté renverrait à un îlot de bien être, de félicité. Cependant, pour avoir part à cet héritage, une condition s’impose à lui. Celle de fuir le monde terrestre, de se détourner de ses plaisirs et de se considérer comme un pèlerin du sens. En un mot, l’homme est un étranger sur terre qui marche vers sa patrie céleste.

Engagé dans ce processus de libération, il échange contre un paradis fictif sa liberté et sa volonté. Dans cette relation avec Dieu, il est représenté comme un éternel enfant abandonné à la bonté de celui-ci. Ce Dieu qui lui est présenté est perçu comme un Dieu miséricordieux, juste et qui est vie. Pourtant, au nom de ce même Dieu, des combats de guerre s’enflamment ou des vies humaines s’éteignent qui lui sont dédiés.

Pour bénéficier de ce bonheur, l’être humain est convié à se lier, à nier sa vie terrestre au profit d’un monde meilleur. Sa nouvelle vie est désormais ponctuée par une somme de lois morales beaucoup plus pénibles que les affres existentielles auxquelles il était confronté. Sans aucun risque d’erreur, l’on constate que cette religion devient la terre fertile aux germes harmonieuses, où se  retrouvent les fines fleurs de l’aliénation, de la paupérisation et de la douleur névralgique. Pour l’entretien de l’homme de Dieu,  le don des deux piécettes de la veuve est salué comme l’épiphanie de la vraie foi.

Il s’agit de comprendre que l’homme est à nouveau en danger. Il faut le libérer de ce fardeau. N’est-ce pas donc cette vocation que s’assigne la philosophie nietzschéenne dans son adresse à l’humanité. Selon Nietzsche, Dieu doit être tué pour que de ses cendres repousse harmonieusement la plante humaine. En ce sens, il s’honore d’être celui qui vient libérer l’homme de son effrayante vie. Ainsi il affirme sa volonté d’apprendre aux hommes le sens de leur existence[3]. Dans le processus de cet exorcisme, il révèle à l’homme que Dieu est une pure invention humaine, issu de notre propre incandescence. Aussi ajoute-t-il que ce Dieu ne vient aucunement d’un au-delà.

Au fond, la proclamation de la mort de Dieu ouvre l’horizon des philosophes et libère les esprits, car elle apporte l’espoir de créer un univers totalement neuf. Il est donc temps pour l’homme de planter le germe de son espoir plus haut. En somme, il n’existe ni diable ni enfer. Seul le surhumain est le centre de la terre. Nietzsche invite donc l’homme à être son auto-référence pour vivre comme un vrai philosophe. C’est-à-dire, « un homme qui ne cesse de vivre, de voir, de soupçonner, d’espérer, de rêver des choses extraordinaires (…) ». La philosophie selon Nietzsche est la vie libre et volontaire dans les glaces de la haute montagne. Une vie que répugnent les hommes religieux, las de vivre et contre qui il met en garde l’homme.

C’est d’ailleurs en ce sens qu’il dit :  » je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d’espace supra terrestre. Ce sont des empoisonneurs qu’ils le sachent ou non. Ils méprisent la vie, ce sont des mourants, eux-mêmes empoisonnés dont la terre est fatiguée, qu’ils s’en aillent donc ». L’homme est en définitive quelque chose qui doit être surmonté. Qu’avez-vous fait pour le surmonter.

Klaourou Elvis Aubin

e.klaourou@yahoo.fr

[1] Jacqueline RUSS, Philosophie. Les auteurs, les œuvres, Paris Bordas, 2003, p. 357.

[2] Feuerbach, L’essence du christianisme, Paris, Gallimard, p. 255.

[3] Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Geneviève BIANQUIS, Paris, Flammarion, P. 18.

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« L’idée de Dieu fut jusqu’à présent la plus grande objection contre l’existence. Nous nions Dieu… par là seulement nous sauvons le monde. »

NIETZSCHE, Le crépuscule des idoles

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GRILLE DE LECTURE

Nietzsche associe « Dieu » aux interdits qui empêchent le sujet de vivre selon son naturel, de faire ce qu’il désire et ce qu’il projette lui-même. Par son athéisme Nietzsche appelle de ses vœux un type d’homme nouveau qui ose aller son propre chemin en évitant deux écueils. Il veut d’abord éviter un Dieu moralisateur dont l’essence réside dans une perfection qui nous étouffe, un Etre suprême incapable de devenir, de changer, de se renouveler, donc de vivre une vie véritable. Eviter un Dieu dont le domaine est le passé parfait, l’idée conclue, le fait accompli, le jugement sans appel, la sentence définitive, car sa raideur risque toujours de se propager et d’entraver la vie ; éviter ce Dieu de la mort, mort lui-même, en tuant s’il le faut son ombre qui hante encore nos parages . Mais il veut aussi échapper à l’autre extrême, celui du nihilisme séculier et « laïc » qui rend impossible toute nouveauté véritable par manque d’imagination

Mervy Monsoleil AMADI, op