Qu’est-ce que l’existentialisme ?

L’Atelier des concepts, Par Emmanuel AVONYO, op

Semaine du 07 décembre 2009

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EXISTENTIALISME/1

S’il est un mot qui semblait s’annoncer par lui-même sans erreur possible, affirme Emmanuel Mounier, c’est bien celui d’existentialisme. Mais quand il quitte la société des philosophes pour se lancer dans le monde, il va justement désigner une vogue qui fait du néant l’étoffe de l’existence. Que doit-on entendre par existentialisme chez les philosophes ? C’est la question qui nous met en mouvement. Le souci de la simplicité et de la clarté guidera nos pas à la rencontre des principaux acteurs de ce mouvement de pensée. Nous nous contenterons d’introduire aujourd’hui au concept, dans l’espoir d’aborder prochainement ce qu’on pourrait appeler les existentialismes.

Définir l’existentialisme

L’existentialisme est une des doctrines philosophiques les plus importantes de notre époque.  Il considère l’homme comme un être responsable de son destin : il crée le sens et l’essence de son existence. L’existentialisme s’adosse à une longue galerie d’ancêtres. Même si le concept est d’un emploi récent dans l’histoire de la pensée, son objectif a été énoncé depuis l’antiquité grecque. Depuis « le connais-toi toi-même » de Socrate, ou le message stoïcien de l’affrontement de son propre destin, l’histoire de la philosophie a été jalonnée d’une série de réveils existentialistes, qui ont été pour la pensée autant de conversions à elle-même, de retours à sa mission originelle.

Cette philosophie de l’homme porte sur trois grandes questions que sont l’action, la croyance et l’existence. L’existentialisme français a connu un rayonnement particulier dans le monde. Mais ses représentants sont tributaires de penseurs allemands comme Edmund Husserl, Martin Heidegger, Karl Jaspers… A preuve, l’existentialisme de Gabriel Marcel s’apparente à celle de Karl Jaspers, tandis que celui de Sartre est proche de Heidegger. La phénoménologie a constitué une source d’inspiration énorme pour l’existentialisme.

Emmanuel Mounier définit l’existentialisme « comme une réaction de la philosophie de l’homme contre les excès de la philosophie des idées et de la philosophie des choses ». Cette conception de l’existentialisme nous permet de scinder l’existentialisme en deux principales branches : l’existentialisme athée de Heidegger et Sartre et l’existentialisme chrétien dont Gabriel Marcel est le plus grand représentant. L’on aurait pu leur ajouter une branche, celle de l’existentialisme marxiste, mais il est plus commode de la rattacher aux athées, leur position dépendant largement de la doctrine de Karl Marx.

Caractériser l’existentialisme

Dans le courant athée, Jean Paul Sartre a caractérisé l’existentialisme comme la doctrine d’après laquelle « chez l’homme et chez l’homme seul, l’existence précède l’essence » Pour lui, nous existons avant d’avoir une essence déterminée, c’est-à-dire avant d’être ceci ou cela, gentil ou opiniâtre, par exemple. De plus, l’existentialisme en tant qu’un humanisme n’est pas autre chose qu’un effort pour tirer toutes les conséquences d’une position athée cohérente. Cette définition est dans une certaine mesure propre à Jean-Paul Sartre mais elle permet de fixer quelques caractéristiques générales (communes) de l’existentialisme.

  • L’existentialisme est une philosophie centrée sur l’homme et non sur le monde matériel (comme la philosophie des présocratiques ou de Descartes) ou encore sur Dieu considéré comme le fondement de toute réalité et de toute vérité.
  • Cette philosophie considère l’homme existant, dans sa réalité concrète, en situation dans le monde, et non l’essence générale de l’homme et la nature humaine qui ne sont que des abstractions. De ce point de vue, l’existentialisme s’oppose à la science qui n’a pour objet que le général. L’existentialisme étudie l’homme concret en situation et en devenir.
  • L’existentialisme est aussi une philosophie de la liberté tenue pour la caractéristique fondamentale de l’homme. Les autres vivants sont prédéterminés dans leur germe par rapport à ce qu’ils seront. Mais l’homme ne peut être empêché de se déterminer par son hérédité ou par l’action de son milieu.
  • L’existentialisme est aussi particulièrement sensible aux expériences tragiques d’inquiétude, d’échec, de mort, à travers lesquelles nous opérons la saisie de notre existence.

Au sein du courant existentialiste chrétien, il y a une philosophie proprement existentielle. On peut distinguer les existentialistes spiritualistes et les existentialistes essentialistes qui proclament la primauté de l’essence sur l’existence. La philosophie des spiritualistes est « existentielle », plutôt qu’existentialiste, en ce sens que leur mentalité est existentialiste mais leur doctrine existentielle. Dans le courant existentialiste, la tendance la plus spiritualiste est celle de Gabriel, et la plus essentialiste est défendue par Louis Lavelle. Emmanuel Mounier peut être rapproché des spiritualistes. Le fondateur de la revue Esprit milita pour le personnalisme. Ce système philosophique particulier peut se considérer comme le fond commun de tous les existentialismes qui reconnaissent la valeur inaliénable de la personne humaine.

En général, existentialisme et essentialisme se comportent en frères ennemis. N’est-il pas possible d’envisager entre  eux un rapport sans l’idée de prééminence de l’un sur l’autre ? Pour mieux comprendre les courants existentialistes, il faut saisir comment ils conçoivent l’existence.

Partir du concept d’existence

Les philosophes de l’existence se distinguent essentiellement par leur conception de l’existence. Que faut-il entendre par « existence » ?

On parle souvent de l’être comme de ce qui est ou ce qui fait être quelque chose. Ce qu’on est touche à son essence, à sa nature, à sa quiddité. Mais le fait qu’on est, c’est-à-dire, son acte d’être (Aristote) désigne son existence. Certains philosophes dont Platon pensent que sont d’abord donnés des êtres possibles, c’est-à-dire de pures essences. C’est à elles que s’ajouterait l’existence. Mais en réalité, une essence peut-elle être donnée sans existence ?

Il semble illusoire de prendre l’être possible pour de l’être, le possible n’est pas une essence. Ce n’est que l’idée d’une essence. Mais dans une philosophie où ce qui est fondamentalement, c’est l’Idée, on peut conférer l’essence à l’idée d’une essence. Cette idée existe dans l’intelligence de celui qui le conçoit parce qu’il est. Alors que Sartre aurait préféré dire, il est parce qu’il existe. Si ce qu’on est (essence) existe en chaque être, c’est encore en lui qu’est le fait qu’il est (existence). C’est pourquoi Thomas d’Aquin écrivait que « l’exister est ce qu’il y a de plus intime en chaque chose et ce qu’il y a en toute chose de plus profond. » C’est par rapport à l’acception classique de l’existence que les existentialistes se positionneront.

Le premier, Kierkegaard, serait parti de Hegel qui considérait l’existence comme une simple propriété de l’essence. Contrairement au maître, l’existentialisme de Kierkegaard soutient la primauté de l’existence sur l’essence. Exister pour l’homme, c’est être libre et responsable, c’est choisir, s’engager, se passionner. L’existant fait l’épreuve de l’angoisse par laquelle il scrute ses abîmes et butte contre le Transcendant.

Pour Jaspers, le Dasein, c’est la condition humaine, le symbole de la Transcendance. L’existence est un déchirement entre notre présence dans le monde et notre aspiration à une transcendance. L’existence est un idéal de notre moi empirique, elle exprime notre possibilité la plus profonde qui ne se réalise pleinement que dans la communication. Mon existence la plus intime est incommunicable et indescriptible.

Chez Sartre, on existe dans la mesure où on s’affirme, on se pose, on se choisit librement. Sinon, on cesse d’exister. L’essence, ce n’est pas ce qu’est une chose pour moi, mais c’est sa valeur. L’homme n’est d’abord rien, il n’est que ce qu’il se fait. C’est en cela que l’existence précède l’essence. L’existence de l’homme sartrien, c’est sa liberté. Son existentialisme qui replace l’essence dans l’existence veut partir de la subjectivité pour donner sens aux choses.

Pour Gabriel Marcel, l’existence suppose la conscience comme signe de l’existence. Mon corps me permet de prendre conscience des existants qui alimentent ma connaissance, mon affectivité et mon action. Celui qui existe, c’est celui-là qui est conscient de son être. Mon existence propre est à peine de l’être, elle appelle l’être sans fin et sans limites. Sans nier le tragique de la vie et l’expérience de l’angoisse, de l’échec, de la solitude et de la mort, Gabriel Marcel propose à l’homme de faire une expérience existentielle qui l’achemine vers l’absolu.

Pour Heidegger, les choses sont, tout simplement ; ce sont des étants. Seul l’homme existe. Sa philosophie est plus existentiale qu’existentielle. Car, contrairement à Jaspers et Sartre, il ne s’arrête pas à l’existence concrète mais veut déterminer les caractéristiques générales de l’existence : les structures ontologiques de l’existence. La description de l’être-là a pour but d’atteindre l’être même, ce qui est. La philosophie doit être une ontologie. Ce qui constitue l’être de l’homme c’est le temps, c’est la contingence, l’être-pour-la-mort. Etre et Temps de Heidegger prend le chemin de la question de l’être et de son élucidation par le temps.

Cher lecteur, voici en quelques jets et à grands traits une première peinture de l’existentialisme. Ces différentes approches du concept d’existence ne cessent d’éclairer rétrospectivement la continuité d’un courant philosophique composite et riche de nuances. L’atelier des concepts reviendra sur l’existentialisme athée et l’existentialisme chrétien dans leurs sinuosités et harmoniques distinctives.

Emmanuel AVONYO, op

 

Sources

  • André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie,  Paris, PUF, 2006.
  • Emile Bréhier, Histoire de la philosophie, Paris, PUF, 2004.
  • Emmanuel Mounier, Introduction aux existentialismes, Gallimard, 1962.
  • Gilles Vannier, Pour comprendre l’existentialisme, Paris, L’Harmattan, 2001.
  • Jacques Mantoy, Les 50 mots-clés de la philosophie contemporaine, Privat, 1971.
  • Jacques Mantoy, Précis d’histoire de la philosophie, Paris, L’Ecole, 1966.
  • Paul Ricœur, Lectures 2, La contrée des philosophes, Seuil, 1992.