L’Atelier des concepts, par Emmanuel AVONYO, op
Semaine du 28 décembre 2009
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Herméneutique /3
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INTRODUCTION
Dans notre précédent travail, nous poursuivions un double objectif : justifier la rencontre de l’herméneutique et de l’épistémologie, puis rappeler le contexte phénoménologique et herméneutique dans lequel a émergé l’épistémologie de l’interprétation de Paul Ricœur. Nous avions établi que le paradigme épistémologique n’est pas adopté par Husserl, Heidegger et Gadamer dans le sens où Dilthey l’avait promu. De ce point de vue, il a été même mis à l’écart. Pour une épistémologie de l’interprétation, PaulRicœur ne prend pas non plus l’héritage diltheyen en l’état.
A la relecture de l’histoire de l’herméneutique, Ricœur fait deux remarques fondamentales qui renforcent son orientation épistémologique :
- La première est que les interprétations plurielles sont irréductibles et qu’il est par conséquent difficile de les regrouper dans une théorie herméneutique générale. Pour arbitrer Le conflit des interprétations[1]rivales il faut questionner le sens dans différents domaines en s’appuyant sur leurs méthodes propres.
- La deuxième est que l’herméneutique n’est plus une simple tentative de saisir l’intention d’un auteur, elle se présente comme une pensée qui cherche à rendre compte de la compréhension du soi par les médiations du langage, des symboles et des textes.
Dans ces conditions, la première étape vers une épistémologique de l’interprétation nous semble devoir être située à l’époque du tournant herméneutique de la phénoménologie de Ricœur. Ce tournant permet de quitter la phénoménologie de l‘univocité et de la transparence du discours vers la reconnaissance d’un dialogue entre cercle méthodologique et cercle herméneutique. L’économie des vérités de méthodes pratiquées commande dès lors l’opposition de la « voie longue » à la « voie courte ».
La deuxième étape vers une épistémologique de l’interprétation peut être celle de la reformulation de la problématique de l’expliquer et du comprendre dans une théorie du texte. En conséquence, le passage du cercle méthodologique de l’herméneutique générale diltheyenne au cercle herméneutique de la phénoménologie herméneutique consisterait en un renversement méthodologique soldé par l’entrelacement de l’explication et de la compréhension sur un même arc interprétatif.
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L’EPISTEMOLOGIE DE L’INTERPRETATION : DU CERCLE METHODOLOGIQUE AU CERCLE HERMENEUTIQUE
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STRUCTURE DE L’ARTICLE
I. LA GREFFE DE L’HERMENEUTIQUE SUR LA PHENOMENOLOGIE
1) La voie courte de l’ontologie de la compréhension : la critique de l’héritage husserlien
2) L’épistémologie de l’interprétation
II. LA TEXTUALISATION ET LE DEPASSEMENT DU DUALISME EPISTEMOLOGIQUE
1) La théorie du texte
2) Expliquer et comprendre : un problème épistémologique
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CONCLUSION
L’herméneutique est la théorie générale de l’interprétation, la théorie des opérations de la compréhension dans leur rapport avec l’interprétation des textes. Les sciences de l’interprétation textuelle imposent une phase explicative au cœur même de la compréhension. La textualisation met en oeuvre une relation dialectique entre expliquer et comprendre qui montre que l’explication ne saurait se réduire à la simple causalité. L’inscription de l’explication dans la compréhension est l’un des principaux indices de la conciliation épistémologique qui s’illustre dans la greffe de l’herméneutique sur la méthode phénoménologique. Cette greffe a des conséquences importantes sur le positionnement épistémologique de l’herméneutique de Ricœur :
- Du cercle méthodologique au cercle herméneutique, Ricœur ne marque pas de rupture épistémologique.
- La phénoménologie devient l’indépassable présupposition de toute herméneutique tournée vers le déchiffrement du soi,
- L’herméneutique dans sa visée ontologique ne saurait plus se passer du service de la philosophie analytique et des sciences humaines.
Comment Ricœur est-il parvenu à ce seuil ? Le défi imposé à la recollection des sens par l’herméneutique du soupçon, c’est-à-dire sa réduction du symbole à des fantasmes de l’inconscient, amène Ricœur à chercher une solution en dehors des schémas classiques. Il opte pour l’articulation de deux herméneutiques : l’herméneutique de l’explication réservée aux sciences de la nature et celle de la compréhension qui concerne les sciences de l’esprit. Contrairement au cloisonnement opéré par Dilthey, Paul Ricœur veut expliquer plus pour comprendre mieux. Il entend faire de l’explication critique des sciences humaines le moyen nécessaire d’accéder à une compréhension du soi.
Si Ricœur tient à sauvegarder la fonction épistémologique de l’herméneutique, n’est-ce pas parce que l’épistémologie de l’interprétation issue de l’exégèse, de la phénoménologie, des sciences humaines et de l’herméneutique fondamentale de Heidegger, se devait de répondre aux questions suivantes : comment un être historique peut-il comprendre historiquement l’histoire ? Comment la vie s’exprimant peut-elle s’objectiver ? Comment, s’objectivant, porte-t-elle au jour des significations susceptibles d’être reprises et comprises par un autre être historique ?
Notre hypothèse est que c’est la tentative de réponse à ces questions qui aurait commandé la critique de l’herméneutique de Heidegger et la greffe du problème herméneutique sur la méthode phénoménologique. La greffe que Ricœur effectue est en définitive l’adjonction d’une réflexion d’ordre méthodologique à l’élaboration d’une ontologie phénoménologique. Cette étape fondamentale de l’épistémologie de l’interprétation de Ricœur sera suivie d’une nouvelle greffe non moins importante dont notre travail ne fait pas mention, celle de la philosophie analytique sur la phénoménologie herméneutique. Ricoeur, le « philosophe de tous les dialogues », assume avec lucidité les héritages de la philosophie réflexive, phénoménoménologique, herméneutique et analytique.
Emmanuel AVONYO, op