Pensée du 12 février 10

« On dit souvent que la force est impuissante à dompter la pensée. Mais pour que ce soit vrai, il faut qu’il y ait pensée. Là où des opinions irraisonnées tiennent lieu d’idées, la force peut tout. »

Simone WEIL, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale.

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GRILLE DE LECTURE

La pensée est la faculté qui ennoblit l’homme. L’homme est capable de penser et c’est cela qui est sa principale tâche. D’où vient qu’il y a encore des maux qui gangrènent nos sociétés si vraiment la force est impuissante à dompter la pensée ? Lorsque la pensée est mise en veilleuse, alors surgit le désordre. Dans la cité où ne règnent que l’irrationalité de l’injustice et les passions de guerre, la raison sommeille. Quand l’opinion prend place, la pensée tire sa révérence. Dans ces conditions, seuls, contemplent à ciel ouvert la lumière comme splendeur du Bien, ceux qui lui sont ouverts, c’est-à-dire qui pensent.

L’homme, pour autant qu’il est homme est capable de cette faculté de se déterminer lui-même qu’est la pensée. Cette faculté est son lien essentiel, jamais monnayable, qu’il ne peut quitter définitivement que par la mort. Si l’homme ne fait pas usage de ce lien essentiel, il se laisse gagner par la paresse. Devenue lourde, son âme est prête à recevoir n’importe quoi. Elle ne peut plus avoir des idées, mais seulement des opinions. Dans ces conditions, elle devient pleinement manipulable, comme une fleur qui se plie à tous les mouvements du vent.

La force peut tout là où la raison de s’exprime plus, là où il y a inattention, là où fait défaut le regard lucide. Et ce regard, précisément, n’est présent à l’homme qu’en des rares instants. En fait, les exigences de la vie quotidienne étouffent notre moi authentique et ne lui permettent pas de s’affirmer. Les nécessités de la vie, en nous encombrant, font que le plus souvent nous vivons à la superficie des choses et de nous-mêmes, laissant ainsi sommeiller notre être profond.

Mervy Monsoleil AMADI, op

6 responses to this post.

  1. Posted by Juru on février 12, 2010 at 10:55 pm

    merci pour la grille de lecture!
    je voudrais demander ce qui fait que, selon vous, le monde n’est pas encore un lieu de paix après le travail que les philosophes « objectifs » ont abattu, sur les valeurs humaines, sur la justice? des fois je me dis que les travaux philosophiques sont plus des principes à incarner que des vérités sur l’homme! comment se fait-il qu’il y ait des injustices commises par des hommes que nous croyions cultivés? ou bien l’homme est capable du bien et du mal, rationnel et irrationnel? y a t il des instants ou l’homme est moins rationnel ou est irrationnel?
    merci

  2. Corrigeons deux choses tout en essayant de répondre à votre préoccupation : la première, les philosophes n’ont pas le monopole de l’objectivité. L’objectivité philosophique semble souvent tenue en respect par les conquêtes des sciences positives. Et les philosophes ne se proclament pas les plus objectifs.

    Deuxième chose, la question que vous posez pourrait être retournée sans méchanceté à des organismes de maintien de la paix, à des corps habillés, à des pasteurs, à des prêtres qui travaillent directement ou indirectement aussi pour la paix, et mieux que les philosophes. Là encore, la philosophie n’a pas la prétention d’avoir une réponse définitive au mal de l’homme.

    La définition de la philosophie semble importante en cette circonstance. C’est une réflexion seconde sur l’ensemble du pouvoir et savoir de l’homme. C’est un savoir de l’esprit dont il ne faut pas attendre des applications matérielles et techniques comme l’art de la guerre. C’est un effort spéculatif d’élucidation de l’être de l’homme. La philosophie éclaire l’essence de l’homme et lui fournit des critères d’appréciation des événements de la vie. Elle défend la valeur de l’homme et incite à la fraternité humaine. Elle n’est pas le seul domaine de connaissance à le faire.

    La philosophie est un art moral rationnel qui peut tout au plus suggérer à la société des hommes des chemins vers la paix, la justice, le bonheur, comme le curé à ses paroissiens, comme le médecin à ses patients. Les problèmes de justice et de paix préoccupent le philosophe comme ceux du salut de l’âme ou du bonheur sur terre. Il prend ainsi part aux luttes de l’homme. Il y a certains qui pensent les problèmes, d’autres se spécialisent dans leurs résolutions techniques. Et même ces spécialistes n’ont jamais le dernier mot. L’évolution de la médecine ne mettra pas fin au mal physique lié à la finitude de l’homme. La philosophie aide à en prendre conscience. C’est ainsi que les idées gouvernent le monde sans tracteurs.

    La justice reste un devoir moral et même spirituel dans une société d’hommes dont la vie reflète « l’incompatibilité d’humeur, la vanité qui en fait des rivaux jaloux, le désir instable de possession et de domination ». Partout où il y a des hommes, il y a des problèmes d’homme.

    Observez notre vie de tous les jours, essayez de répondre à la question de la puissance du mal, de l’inconscient, de l’involontaire, de l’irascible, de l’irrationnel. La culture peut aider la nature à progresser sur le plan humain et moral. Mais la culture n’est pas un gage contre les passions incontrôlées de l’homme, contre la disproportion entre son désir et sa raison. La philosophie ne guérit de la vanité que ceux qui acceptent de faire le chemin complet du changement ; ce n’est pas qu’une disciple livresque, c’est un effort et une ascension à assumer. La « grâce » philosophique peut-elle supprimer la nature ?

    La philosophie peut être aussi un chemin d’élévation et d’ajustement permanent du comportement moral moyennant l’effort résolu de l’homme. Les concepts seuls n’y peuvent rien. Un doctorat en chimie ou en criminologie n’y peut rien. De même, aussi longtemps que l’homme durera sur la terre, la vanité et le mal courront au galop, et la philosophie continuera à interpeler la conscience de l’homme, comme la bioéthique et l’anthropologie feront aussi leur boulot. Qu’ont-elles à se reprocher ? La faute aux sciences ou à l’homme qui s’interroge sur sa nature à travers les sciences ? Rien n’est moins sûr !

    AVONYO

  3. Posted by Juru on février 13, 2010 at 11:00 pm

    Bien merci pour les corrections apportées à ma pauvreté .
    en parlant de philosophes « objectifs » je pense à tous les hommes et les femmes qui font cet effort non seulement de créer les concepts mais aussi de vivre selon leurs pensées. je pense également à ceux qui font la philosophie sans pousrsuivre toute vaine gloire mais qui, justement, empruntent le chemin de la vérité vers le Bonheur. c’est ici que je souligne que toute vérité, toute connaissance si vous voulez, si partielle soit-elle, est un pas de plus vers la connaissance du Bien et donc une sorte de particpation ou d’anticipation au bonheur absolu qui, je suppose, attire et qui pousse à sa recherche.

    j’aimerais également demander si le travail spéculatif du philosophe le soustrait pour autant aux réalités matérielles de son milieu de vie? de qoui spécule-t-il, sinon sur tout le réel! en vue de quoi un philosophe fournirait-il ces efforts, que je reconnais si énormes, si ce n’est que pour ce qui dure c-à-d la dignité humaine, l’humanité, le bien-être! le concept est une chose, son incarnation-au sens fort de ce terme, une autre; tant que celle-ci n’a pas comblé le vide de celle-là, la philosophie continuera d’interpeller la conscience comme vous l’avez bien dit! Il reste à voir par quoi la philosophie interpelle! les discours souvent inaccessibles d’ou la nécessité de rendre la philosophie populaire comme l’un des votres le disait! Est-cela suffirait? personne ne sait! la réalité humaine fait tout pour échapper aux définitions que les sciences lui proposent et aux élucidations de son être.

    Là ou il y a des hommes, il y a des problèmes d’hommes…là ou il y a des philosophes, il devrait y avoir plus de lucidité, moins d’inattention qui conduit aux irrationalités de l’injustice! C’est l’un des désirs les plus profonds de l’homme.
    merci

  4. Belles envolées qui indiquent que nous devons creuser encore pour laisser le vrai sens de nos méditations bien apparaître clairement. Désolé que notre réponse ait servi à entretenir de l’ombre, plutôt qu’à en dissiper. Nous respectons votre propos philosophique. Vous affirmez pas mal de choses intéressantes qu’on peut considérer comme un vrai chemin de méditation. Restons donc en marche vers cet azur de sens !

    AVONYO

  5. Posted by TANTE LEONIE on février 14, 2010 at 4:24 pm

    les nécessités de la vie nous obligent à exercer différentes vertus, telle que la patience, le courage, la détermination… et se faisant, nous nous faisons. Un ventre creux n’est pas immédiatement consolé par la beauté du Ciel au-dessus de sa tête, et il lui faut plus d’industrie pour survivre, plus d’ingéniosité et d’adresse… La vie du quotidien est une excellente école. Et comme à l’école, à chacun selon ses possibilités, mais qui oserait établir un barême à partir duquel on peut ou on ne peut pas penser ?
    Tante Léonie

  6. Question éclairante, la philosophie n’établit pas des barèmes. Elle forme le jugement et éclaire notre faculté de choix. Le besoin de philosopher peut naître spontanément chez un esprit assoiffé. Le philosophe qui peut construire des industries serait doublement utile pour le monde, pour soulager les ventres qui creusent par exemple. Celui qui ne le peut pas, se contentera de ce qu’il peut faire. A l’école de la vie, chacun peut encore apporter la pierre de la couleur qui lui plaît à l’élévation de l’édifice.

    AVONYO

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