« C’est la mélancolie profonde du cours même de l’histoire, de la fuite du temps qui montre ainsi que des contenus éternels, que des attitudes éternelles perdent leur sens dès qu’ils ont fait leur temps – que le temps peut dépasser l’éternel.»
Georg LUKÁCS, La théorie du roman
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GRILLE DE LECTURE
La grille de lecture de ce jour se veut délibérément questionnante ; elle est innervée par l’interrogation d’un de nos cafés philosophiques. « Penser, c’est dire merci ». Dire merci, c’est aussi aller plus au large et étendre les filets du sens. Fort de cela, nous estimons que ce n’est pas la mélancolie du cours de l’histoire qui fait des valeurs vraies ; ce n’est pas la fuite incoercible du temps qui conditionne la vérité de nos valeurs. L’éternité n’existe que pour celui qui y croit. Le temps n’est réel et fugace que pour celui qui en fait ainsi l’expérience. Le sens des attitudes éternelles ne se délite que pour celui qui le vide de tout contenu.
Et qu’ainsi, la mélancolie n’engendre rien, ce sont nos échelles de valeurs, nos conditionnements philosophiques, sociaux, historiques, ce sont nos appréhensions de l’existence qui font une histoire mélancolique ou un temps « sans temps », un temps qui défie l’éternel. En effet, comment le temps passerait-il l’éternel, s’il n’y a de temps que par rapport à l’éternité ? A titre d’hypothèse, concédons que c’est l’éternité qui passe le temps. Même ici, comment ces attitudes éternelles ne perdraient-elles pas leur sens, si l’homme qui leur désigne des contenus passe infiniment pour un « être-pour-la-mort ? En dépit du fait que l’homme passe, il n’y a de temps que pour l’homme, et il n’y a d’éternité que pour l’homme.
Certes, l’homme est temporel, l’homme n’est pas éternel. L’homme est temporel et le temps passe l’homme comme l’éternité passe le temps. C’est finalement l’homme qui sort du temps, et le temps, de l’éternité. Double victoire par étapes de l’éternité sur le temps, et du temps sur l’homme. Et si le temps passe l’homme qui passe, comment ne passerait-il pas l’éternel dans l’esprit de Georg LUKÁCS, c’est-à-dire dans l’entendement de celui qui le conçoit ? D’où le mirage. N’est-ce pas en vérité l’éternel qui passe le temps et l’homme ? Les attitudes éternelles et leurs contenus ne débordent-ils pas l’homme et le temps de part en part ? Beau sujet de méditation, qui passe les limites de la raison incapable de rendre raison de son raisonnement. Le cours de cette histoire peut paraître dès lors mélancolique comme la fuite désespérée du temps et l’inconsistance de l’homme.
Emmanuel AVONYO, op