« Certains ne sont heureux qu’en espérance. C’est une façon de l’être inférieure à celle des hommes qui le sont effectivement, mais qui vaut mieux que la condition de ceux qui ne sont heureux ni en fait, ni en espérance. »
Saint Augustin, Les Confessions.
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GRILLE DE LECTURE
Nous allons distinguer deux principaux modes de connaissance du bonheur. Il y a le bonheur en espérance et le bonheur effectif. Etre heureux seulement en espérance, ce n’est pas connaître le vrai bonheur. Certains ne connaissent que le premier mode de bonheur, ils ne sont pas vraiment heureux, ils n’ont pas atteint le parfait équilibre entre leurs aspirations et leur existence. D’autres connaissent le bonheur effectif, ils s’estiment heureux. Ces personnes ont réalisé l’harmonie profonde qui leur procure le bonheur plénier. Il semble que d’autres encore ne connaissent pas du tout le bonheur. Ils ne sont heureux, ni en espérance, ni en acte. Il y a donc pire que le bonheur en espérance. Toute fois, cette dernière catégorie, ou cette non catégorie, est assez surprenante si l’on reste dans la logique d’Augustin. On se demande si ceux qui ne connaissent pas du tout le bonheur, disposent aussi d’une idée du bonheur et le recherchent toujours.
Cette question s’impose parce que notre philosophe pense que tous les hommes veulent vivre heureux. Kant et bien d’autres réaffirmeront la même pensée. Si vouloir vivre heureux n’est que l’actualisation d’un souvenir du bonheur, comment expliquer que des hommes s’accordent absolument à vouloir être heureux mais que certains ne connaissent pas du tout le bonheur ? Est-ce parce qu’ils n’ont jamais contemplé le bonheur ? Comment désirer le bonheur si l’on en a aucune connaissance préalable ? Et s’ils en possèdent une idée, comment ne pas connaître le bonheur, ni en fait, ni en espérance, pendant qu’ils désirent toujours le bonheur ? Ces questions nous dirigent vers le voisinage de la théorie de la connaissance de Platon dont saint Augustin est assez proche. En effet, pour Platon, toute connaissance est une nouvelle connaissance, réminiscence des essences éternelles contemplées avant la chute dans le monde.
Ainsi, pour Augustin, sans « une connaissance assurée » de son objet, la volonté n’aurait pas la même fermeté dans la recherche du bonheur. C’est l’idée que nous avons du bonheur qui nous incline à l’aimer et à vouloir y atteindre pour être heureux. La joie étant une propédeutique au bonheur, le souvenir de la joie rend présente l’idée de bonheur. Comme la joie est une chose dont personne ne peut se dire sans expérience, nous la trouvons dans notre mémoire et la re-connaissons, en attendant prononcer le nom du bonheur. Saint Augustin pense que le bonheur résiderait même dans la mémoire, car nous ne l’aimerions pas si nous ne le connaissions auparavant. C’est les voies d’y parvenir qui diffèrent selon les individus. Pas sûr que le commentaire ait répondu à toutes les questions qu’il pose dans le désordre. Mais les questions, pour être plus importantes que les réponses, indiquent souvent que le sujet n’est pas bien cerné. C’est un chemin de méditation.
Emmanuel AVONYO, op