Pensée du 14 janvier 11

« L’honneur est un sentiment qui, sans envisager l’utilité personnelle et même en la méprisant, sans envisager l’utilité sociale quoique ne la méprisant pas, mais ne s’y arrêtant point, nous persuade que nous sommes les esclaves de notre dignité, de notre noblesse. »

Emile FAGUET, La démission de la Morale, p. 303-304.

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GRILLE DE LECTURE

Les partisans des morales du sentiment n’admettent pas que la raison puisse déterminer l’idéal à suivre ; d’autre part, ils se refusent à placer le but de la vie dans le plaisir sensible. Pour eux, le but de la vie est avant tout la satisfaction des sentiments élevés du cœur humain, dans la droiture et la loyauté, la justice et l’équité… C’est ce qui confirme que la morale du sentiment (de l’honneur) est une morale de la réaction de la raison devant l’activité humaine, de l’accord de la raison avec l’expérience. Emile Faguet affirme que l’honneur est un sentiment qui nous persuade que nous sommes esclaves de notre noblesse. La dignité de l’homme commande en maître, elle assujettit l’homme à tout ce qui l’ennoblit. L’homme est esclave de sa dignité parce qu’on a beau proclamer que notre honneur ne compte pas, il est le sous-entendu majeur de tous engagements politiques. « L’honneur, c’est la poésie du devoir », clamait Alfred de Vigny. Positivement, l’honneur inspire à l’homme la morale du devoir, et négativement, toutes les fois que l’homme assume son devoir social, il se met implicitement au service de son unique maître, l’honneur, la dignité, la noblesse. Il s’ensuit qu’une petite ambiguïté reste constitutive des morales du sentiment. Elles ne refusent le plaisir comme but de la vie que pour plonger leurs racines dans les profondeurs esclavagistes de l’ego personnel. La morale du sentiment se réduit à la morale de l’intérêt et du plaisir.

Notons que les morales du sentiment font partie des morales dites empirico-rationnelles, c’est à dire celles dont les principes moraux résultent d’une réflexion pratique de l’esprit sur les données de l’expérience humaine. Il faut noter que tandis que les morales empiriques affirment que c’est à l’expérience (aux tendances de l’activité humaine) qu’il faut demander les principes moraux, les morales rationalistes déterminent le but de la vie selon des normes indépendantes de l’expérience, des règles qui sont l’apanage de la raison. La synthèse morale empirico-rationnelle, les renvoyant dos à dos, soutient que l’homme n’induit pas de ce qui est ce qui doit être (on ne doit pas édicter les règles générales de la conduite humaine à partir des cas singuliers), comme l’insinuent les empiristes, et que contrairement à la pensée rationaliste, l’homme ne déduit pas non plus les règles de l’activité humaine de notions antérieures à toute expérience. Ainsi, c’est dans ce qui est ou à l’occasion de ce qui est que l’homme conçoit ce qui doit être. C’est à l’expérience intégrale impliquant la raison que se réfèrent les morales empirico-rationnelles et les morales fondées sur le sentiment. Les morales qui portent sur les questions d’honneur, de dignité, de respect…, se rangent dans la catégorie constituée par cette nouvelle synthèse morale. La morale de l’honneur est donc une morale empirico-rationnelle.

 

Emmanuel AVONYO, op

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