« La mort de Bergson a été une perte pour l’univers. »
A. – D. Sertillanges, Henri Bergson et le catholicisme, Paris, Flammarion, 1941, p. 5.
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GRILLE DE LECTURE
Sur un mur du panthéon de Paris, une inscription rend hommage à Henri Bergson : « A Henri Bergson… Philosophe dont l’œuvre et la vie ont honoré la France et la pensée humaine. » C’est aussi en des termes très dithyrambiques que Sertillanges salue la mémoire du philosophe Henri Bergson. Né le 18 octobre 1859 et mort le 04 janvier 1941 à Paris, cet intellectuel français a marqué l’histoire de la pensée, ne serait-ce que par ses quatre principaux ouvrages que sont : Essai sur les données immédiates de la conscience (1889), Matière et mémoire (1896), Evolution créatrice (1907), Les deux sources de la morale et de la religion (1932).
Sertillanges se pose la question suivante à son sujet : « Les âmes mystiques savent un gré infini à leur Dieu d’être grand. A l’égard des génies, ce sentiment ne serait-il pas de mise ? » Pourquoi pas, d’autant plus que Henri Bergson fut l’un de ces génies dont le commerce nous hausse momentanément à leur niveau. Il était persuadé de la légitimité de la croyance en même temps qu’il répudiait la « religion de la science ». Quand il prononçait une vérité, celle-ci s’enfonçait dans les esprits comme des dards spirituels. Ses écrits étaient poussés à une transcendance que leur texture propre communiquait. Philosophe à part entière, Henri Bergson s’interdisait toute affirmation qu’il ne pût appuyer philosophiquement et verser au trésor commun de la connaissance. Il a ramené les esprits à la métaphysique qui ouvre à un spiritualisme nouveau.
C’est pourtant par des chemins détournés que Bergson arriva à la philosophie. D’après Sertillanges, son attrait intellectuel le portait initialement vers les mathématiques, pour lesquelles il était excellemment doué. Seulement, fabriqué comme il était, voulant se rendre compte de tout, il ne tarda pas à se heurter aux problèmes philosophiques posés par la mathématique même. C’est l’exemple de la question du temps, qui accapara son attention d’une façon décisive et orienta sa philosophie ultérieure. Placé comme Samson entre les deux colonnes du temple du savoir de son temps que sont le scientisme positiviste et le kantisme, son esprit ne trouve satisfaction ni ici ni là.
En effet, l’auteur des Données immédiates de la conscience dédaigne une lecture matérialiste de l’homme ; il répugne également au kantisme, pour ce qu’il a d’arbitraire et d’opposé aux évidences immédiates. A la manière d’un débiteur riche qui n’emprunte que pour faire valoir. Bergson professe d’ailleurs devoir beaucoup à Maine de Biran. Il était fidèle à ses maîtres et plein de reconnaissance à leur égard. Sa mystique du savoir avait un volet kénotique. Sertillanges rappelle ces paroles bergsoniennes : « Je cherche, on verra bien. Si j’aboutis à quelque chose, je le ferai volontiers connaître ; sinon je me tairai. » L’humilité des grands hommes cache toujours mal leurs vertus multiformes. Peut-être, la mort de Bergson plus que celle d’autres philosophes contemporains a-t-elle été une réelle perte pour l’univers.
Emmanuel AVONYO, op
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