« La politique ne révèle son sens que si sa visée – son télos – peut être rattachée à l’intention fondamentale de la philosophie elle-même, au Bien et au Bonheur .»
PAUL RICOEUR, Histoire et vérité
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GRILLE DE LECTURE
Cette pensée de Ricœur a un accent aristotélico-platonicien remarquable. Elle renvoie tout au moins à la conception de la politique chez les Grecs. Platon ordonnait la politique au Bien et au Bonheur, et ce sont les philosophes qui étaient les plus aptes à accomplir ce dessein politique. La philosophie vise au Bonheur qui découle de la contemplation du soleil du Bien. Le télos (la fin) de La philosophie vise au Bonheur qui découle de la contemplation du soleil du Bien. Le télos (la fin) de toute organisation de la société et de toute forme d’exercice du pouvoir politique doit rencontrer l’intention fondamentale de la philosophie, au risque de n’avoir aucun sens pour l’homme. Deux types de rapprochements sont perceptibles dans cette idée de Ricœur :
Premièrement, Ricœur semble mettre côte à côte « la politique » et « la rationalité », dans une relation de réciprocité symétrique. Depuis les Grecs, nous savons que la politique ne peut être exclue du champ du raisonnable et du discours philosophique sous peine de voir la raison chavirer et la politique tomber en déliquescence. Aristote pensait que tout Etat est une société dont le principe est la recherche d’un bien car toutes les actions de l’homme ont pour fin ce qu’il estime un bien. Thomas d’Aquin renchérit que le bien commun est ce que recherche toute communauté. A travers le bien politique, les hommes poursuivent un bien qu’ils ne sauraient atteindre autrement, et ce bien est une patrie du bonheur, et par ricochet, celle de la raison.
Deuxièmement, associer « politique » et « rationalité » appelle à conjoindre « philosophie politique » et « Etat ». L’Etat auquel notre grand lecteur de Hegel et d’Eric Weil se réfère implicitement ici n’est pas une totalité oppressive mais “le tout” comme « universalité des citoyens », le « seuil de la citoyenneté », le « seuil de l’humanité ». La philosophie politique aussi réfléchit sur le tout de la communauté et non sur la somme des personnes qui la composent. Le télos de la politique qui se réalise dans un Etat, est ainsi rattaché à l’intention même de la philosophie. Il n’est donc pas surprenant que la philosophie politique soit déterminée à chercher son sens et sa visée comme fin de l’Etat et de tout le corps politique, puisque l’homme (qui plus est philosophe) sans patrie, sans Etat, serait détestable.
Aujourd’hui, nous comprenons mieux qu’une philosophie politique puisse être gouvernée par une téléologie de l’Etat, c’est à dire que toute pensée de la chose publique s’appuie sur un discours concernant la fin que vise l’Etat ; cette fin pourrait être le bien commun thomiste, l’ultime visée des hommes. Il faut retrouver dans la téléologie de l’Etat, en d’autres termes, il faudrait rechercher dans l’association du politique et de l’éthique, la manière irréductible de la politique de contribuer à l’humanité de l’homme. Car, selon Ricœur, la spécificité de la politique ne peut apparaître que dans ce télos. L’humanité advient à l’homme par le moyen du corps politique.
Emmanuel AVONYO, op