Pensée du 08 février 10

« De la joie, nous dirons qu’elle est un acte ; et du bonheur, nous dirons qu’il est constitué par l’ensemble des actes de joie lorsqu’ils sont des actes substantiels. »

Robert Misrahi, Le bonheur, Essai sur la joie

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GRILLE DE LECTURE

Point n’est besoin de surcharger le sens d’une pensée aussi limpide, dirait-on. Les eaux dormantes, les pensées simples, sont d’une profondeur insoupçonnée. Robert Misrahi nous invite donc à une nouvelle randonnée métaphysique d’exploration du sens de l’existence. Choisissons cet angle d’attaque : comment la joie devient-elle (est-elle) un acte substantiel ? Voilà qui nous introduit dans une phénoménologie de la joie. Pour être une attitude intentionnelle, c’est-à-dire un désir actif par lequel l’individu donne valeur aux événements qui le réjouissent, la joie est un sentiment qui ne se réduit pas à l’état d’une sensibilité passive. Ce n’est qu’un premier niveau de sens qui faudra dépasser.

Certes, la joie est un acte parce qu’elle est de l’ordre de l’intentionnalité, elle est une véritable activité de la conscience orientée vers un objet. Elle est une attitude librement choisie et librement maintenue en vie et en acte à travers l’écoulement actif du temps. Ainsi, pour Robert Misrahi, la joie s’oppose aux purs plaisirs passifs issus des besoins et de leur satisfaction. Elle est un acte qui a de la substance. La joie devient un acte substantiel quand elle est perçue comme partie constituante du bonheur d’une existence. Pour que la joie puisse remplir cette fonction, elle ne sera donc plus réduite au plaisir (Epicure),  à la perfection du plaisir (Aristote), à la joie de la contemplation (Platon, Schopenhauer), à la joie de l’amour (Sartre), à la joie de la création (Bergson), à l’accroissement de notre puissance d’exister (Spinoza), à la joie du oui dans la tristesse du fini (Ricœur).

Toutes ces définitions de la joie repèrent, selon Misrahi, un noyau de sens qui reste non élucidé. La joie comme forme affirmative du désir est un événement intégrateur de la conscience qui revêt non seulement une dimension réflexive (comme acte conscient) mais surtout une dimension fondatrice (décisive et essentielle à l’homme). En effet, pour s’intégrer dans l’ensemble durable d’une existence heureuse, la joie doit dépasser un simple sentiment actif pour devenir un acte substantiel où l’individu se saisit comme la source du sens qu’il veut donner à son existence, la source de validité des raisons qui font son bonheur. La joie comme intuition se redouble ici d’une adhésion réflexive et fondatrice, elle nous fait transcender le temps qui nous constitue et nous inscrit dans une dimension intemporelle. Elle nous ouvre à une sorte d’éternité où se joue une substantialité véritable qui pose un sens.

Emmanuel AVONYO, op

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4 responses to this post.

  1. Posted by serge fiset on février 8, 2010 at 1:21 pm

    Elle nous ouvre à une sorte d’éternité où se joue une substantialité véritable qui pose un sens.
    C’est quoi une sorte d’éternité …..?

    Je trouve les propos sur la joie de Mishari des plus intéressants , j’aimerais mieux comprendre ce qu’il veut dire lorsqu’il dit que la joie est un acte substantiel où l’individu se saisit comme la source du sens qu’il veut donner à son existence, la source de validité des raisons qui font son bonheur.

    Si je comprends bien la veritable joie est l’accord entre le vécu au quotidien et le sens réel de ma présence sur terre « pourquoi j’existe »? Il y aurait dans ma présence au monde une signification que je met en marche . En trouvant le sens de ma vie (ce pourquoi je suis au monde) je n’aurais que faire les actes , gestes et paroles en accord avec ce sens pour connaitre la joie ? Et avoir cette sorte d’éternité ?

  2. Serge,
    Vous comprenez assez bien le propos de Misrahi.Vous n’avez plus besoin d’explication. Je ne doute pas que vous soyez quelqu’un d’assez exercé au métier de la méditation philosophique.

    La joie est un acte substantiel, un acte fondateur qui nous accomplit et nous fait transcender le temps pour nous inscrire dans une « sorte d’éternité ». ». Misrahi lui-même met le mot entre guillemets. Transcender (comme dans la dialectique de Hegel), c’est dépasser et intégrer le temps qui nous constitue et dont on ne s’abstrait pas pour autant. Le dépassement du temps par la joie intensive existentiellement et qualitative réflexivement nous introduit dans un temps sans temps, dans une intemporalité. Tout se passe alors comme si nous accédions à une « sorte d’éternité ».

    La joie est évidemment décrite ici telle qu’elle se présente dans toute activité heureuse. La joie se présente comme un acte concret, dense, substantiel, consistant et significatif du bonheur. Cette phénoménologie de la joie et du bonheur tient à montrer que le bonheur n’est plus une abstraction, ni un interdit pour les hommes de notre temps. Le bonheur se vit dans ces actes du vivant, dont la joie, un acte substantiel, un véhicule effectif du bonheur. Cette conception du bonheur et de la joie du point de vue de leur plénitude rappelle la définition générale du bonheur : il est l’harmonie totale entre nos aspirations les plus profondes et nos actions existentielles, une harmonie jamais atteinte parfaitement selon Aristote et Kant.

    Ainsi, la joie comme vecteur substantiel du bonheur est le premier lieu de cet accord entre un vécu et un projet de bonheur humains, la synthèse active entre intuitions vécues et intentions de signification, comme dirait Husserl. Je vous rejoins donc, car tout homme met en œuvre une signification dont le niveau de remplissement fait la plénitude de la joie, propédeutique vers le bonheur. Le bonheur est donc la réalisation, par le sujet lui-même, de son désir d’être et de son mouvement vers la plénitude et vers le sens. Misrahi ne me paraît pas viser un au-delà de l’humain. Le bonheur n’est atteint que par l’acte de la joie qui se dépasse vers une vie actuelle et présente qui dure, une vie présente vécue comme temporelle mais infiniment durable.
    C’est un plaisir Serge !

    Emmanuel AVONYO,op

  3. Posted by TANTE LEONIE on février 9, 2010 at 6:34 pm

    ET SI LA JOIE NOUS ETAIT DONNEE PAR SURCROÎT ???
    Comme un état de grâce, dans l’assentiment de tout l’Etre en l’Etre ? Indépendemment d’une recherche éperdue du bonheur ? bien secondaire quand on a goûté à l’intensité de la Joie…
    Tante Léonie

  4. Je vous rejoins Tante Léonie, le bonheur qui a tout l’air d’une recherche éperdue trouve un substitut non moins épanouissant en la joie. La joie est l’oeuvre de l’homme, certes, elle est une satisfaction profonde résultée de l’accord entre le projet de plénitude de l’homme et son engagement humain. Bien plus, il me semble qu’il y a un supplément d’âme dans la joie qui échappe à l’emprise totale du faire humain. Le tout ne consiste pas à faire, mais à être aussi. Etre en harmonie avec la source de l’être peut conférer à la recherche du bonheur une teinte joyeuse donnée comme pure gratuité. A preuve, toutes nos joies ne s’expliquent pas. Il y a certainement une joie donnée gratuitement qui procède de l’Etre.

    Emmanuel

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