Pensée du 14 juin 19

La raison pratique critique plus particulièrement la Grâce, l’Incarnation et la Révélation. 1/ Il est scandaleux d’attendre son perfectionnement moral de l’intercession de Dieu plutôt que du libre arbitre. Si « l’impossibilité de la grâce (…) ne se laisse nullement prouver », « le concept d’une assistance surnaturelle à notre faculté morale » est dangereux : « ce qui doit être imputé comme opération éthique bonne ne doit pas voir le jour par une influence étrangère, mais seulement par l’usage le meilleur possible de nos forces propres » (pp. 229-230). Admettre les effets de la grâce conduit au fatalisme et à l’exaltation, ennemis de la raison critique. 2/ Hormis une exception, Kant n’écrit jamais le nom de « Christ », témoignant de son refus de l’Incarnation. Jésus n’incarne l’idéal moral qu’en tant qu’il est homme. Il perdrait sa valeur d’exemple s’il était Christ : on ne peut exiger de nous que nous agissions comme un dieu. Son exemplarité requiert l’humanité. N’ayant « rien de pratique à tirer » de l’Incarnation, la raison doit l’interpréter dans le seul sens qui lui est conforme : Jésus incarne l’idéal de perfection morale agréable à Dieu, et non « la divinité séjournant corporellement dans un homme réel et agissant en lui comme une seconde nature » (pp. 840-842). Tenir pour nécessaire au salut la croyance à ce miracle et à tout ce qui a trait au surnaturel est superstition (p. 874). 3/ Une révélation surnaturelle est inconcevable : comment l’infini pourrait-il s’exprimer dans le fini ? A supposer que cela se puisse, la raison ne pourrait certifier l’origine divine d’une expérience qui transgresse les lois de l’expérience. Si la théorie est ici comme paralysée, la pratique établit avec une absolue certitude le caractère non-divin de la révélation qui contredit la loi morale, quand bien même elle s’accompagnerait des signes les plus extraordinaires. La raison pratique s’érige en juge du surnaturel : « si Dieu parlait vraiment à l’homme, celui-ci cependant ne pourrait jamais savoir que c’est Dieu qui lui parle. Il est absolument impossible que l’homme puisse saisir par ses sens l’infini, le différencier des êtres sensibles et par là le reconnaître. Mais que ce puisse ne pas être Dieu, dont il croit entendre la voix, il peut s’en persuader fort bien dans quelques cas ; car si ce qui lui est proposé par l’intermédiaire de cette voix, est contraire à la loi morale, le phénomène peut bien lui sembler aussi majestueux que possible et dépassant la nature tout entière : il lui faut pourtant le tenir pour une illusion ». Et Kant de citer « le mythe du sacrifice qu’Abraham, sur ordre divin, voulut offrir en immolant et en brûlant son fils unique (le pauvre enfant apporta même à cette fin, sans le savoir, le bois). Abraham aurait dû répondre à cette prétendue voix divine : <<Que je ne doive pas tuer mon bon fils, c’est parfaitement sûr ; mais que toi qui m’apparais, tu sois Dieu, je n’en suis pas sûr et je ne peux non plus le devenir, quand bien même cette voix tomberait, retentissante du ciel (visible) >> » (t. 3, pp. 871-872 : cf. p. 108). Confrontée au choix d’Abraham, la raison pratique eût rejeté, avec l’injonction sacrificielle de Dieu, la promesse de son alliance… »

Christophe Paillard, « Kant et le problème de l’irrationnel »

(Source : https://listephilo.pagesperso-orange.fr)

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