Posts Tagged ‘André COMTE-SPONVILLE’

Pensée du 16 mars 11

« Ce livre me plaît et me déplaît comme il est, honnête et imparfait, et si je ne déteste pas qu’on le loue, c’est humain, il m’importe peu qu’on l’approuve. Son principal effet sur moi fut de me libérer de lui. »

André Comte-Sponville, Une éducation philosophique

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GRILLE DE LECTURE

Lire, c’est goûter à une forme de liberté. Notre auteur ne déteste pas qu’on loue ou qu’on approuve un livre, parce qu’il est un homme libre. Il est le produit des livres, il est une liberté façonnée par la culture. Aussi étonnant que puisse paraître ce point de vue, bien au-delà de ce que peut percevoir un œil profane, un lecteur est un Homme libre, c’est un impénitent de la liberté d’esprit, un chantre de la faculté de juger. Après la lecture, il faut pouvoir quitter l’ouvrage. L’intérêt que représente une lecture ne doit guère induire une forme d’esclavage. La lecture a beau être un « vice impuni », elle n’est pas une fin en soi. Son but suprême, c’est la liberté de l’Homme. Lire en vue de transmettre ce qu’on a contemplé, en vue de se construire soi-même, de vivre et d’être partie prenante de l’existence, c’est encore parier pour la liberté. Mais pour quelle liberté ? Avant tout pour la liberté de l’esprit qui ne prend plus rien pour parole d’évangile et qui ose s’affirmer comme un sujet humain. Pour Comte-Sponville, la lecture n’est pas la finalité de la lecture. On ne peut pratiquer la lecture que comme un art du penser, du savoir-vivre, du savoir-être. Les livres sont des échelles sur lesquelles il faut monter pour voir plus loin que les auteurs eux-mêmes. A ce titre, la lecture n’est pas qu’une alternative à l’Action. Elle est une autre forme d’Action, le point de départ de l’Action libre qui prend en charge la fragilité de l’humaine condition.

Le philosophe qui fréquente les livres ne saurait être un vicariant de la pensée ou un agitateur de citations d’auteurs. Il doit être un homme qui ose penser par lui-même, après s’être approprié les matériaux offerts généreusement par l’histoire de la pensée. Dans la préface de l’ouvrage Les femmes qui lisent sont dangereuses (Laure Adler & Stephan Bollmann, 2006), nous lisons : « Ecrire, c’est produire le texte. Lire, c’est le recevoir d’autrui sans y marquer sa place, sans le refaire. » Après la lecture, il faut encore lui marquer sa place, il faut le refaire. Le « faire » est à prendre au sens grec du « créer ». Si la lecture est une Action créatrice d’un nouveau soi, d’un soi autre que le moi qui vient à la lecture (Ricœur), elle nous libère de tout, y compris de nous-même. Elle nous libère des déterminismes et des préjugés, de l’étroitesse d’esprit et de l’obscurantisme, elle nous façonne une armure pour le combat de la vie. Laure Adler ajoute : « Penser c’est vivre. Vivre c’est penser. Pas de pensée sans prise de risque. Pas de pensée qui ne soit un affrontement personnel avec le monde. Penser, c’est aussi frôler le précipice, assumer le désespoir et la solitude qui peuvent en résulter » (Laure Adler, Dans les pas de Hannah Arendt).

Emmanuel AVONYO, op

Pensée du 18 novembre 10

« Agir moralement, c’est agir comme si on aimait. Là où on aime, avec nos enfants par exemple, on n’a pas besoin de morale : on agit pour leur bien par amour et non pas par devoir. On ne nourrit pas ses enfants par devoir. On les nourrit par amour. La morale est une forme d’amour. Quand on n’est pas capable d’aimer, il faut agir comme si on aimait, c’est-à-dire moralement. Et quand on n’est pas capable d’agir comme si on aimait, quand on n’est pas capable de respecter vraiment les personnes, il faut au moins être poli, il faut au moins les respecter, c’est-à-dire leur dire bonjour quand on les croise et pardon quand on les bouscule. La morale est une forme d’amour. La politesse, une forme de morale. L’amour vaut mieux que la morale ; la morale vaut mieux que la politesse. Mais si vous n’êtes pas capables d’amour ou de respect, soyez au moins polis. »

André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus.

Pensée du 09 novembre 10

Une petite vertu aussi, la plus petite de toutes : la politesse…  Pourquoi est-ce que les gens ont envie que vous leur serriez la main quand vous les croisez dans l’escalier de l’entreprise ? Parce qu’ils voudraient que vous les respectiez. La vérité vraie, c’est qu’ils voudraient même que vous les aimiez. Qui peut le plus peut le moins… Si vous les aimiez, vous leur serreriez la main. Mais quand on n’est pas capable du plus – et personne ne peut aimer tous ceux qu’il croise dans l’escalier – on n’est pas dispensé pour autant du moins, et même on y est tenu. Personne ne peut vous obliger à aimer tout le monde dans votre entreprise ; mais vous êtes tenu moralement de respecter tout le monde. En ce sens, la morale, c’est une forme d’amour. Comme l’amour fait toujours défaut, on a besoin de morale. Et comme la morale fait presque toujours défaut, au moins en partie, on a besoin de politesse. »

André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus

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Pensée du 21 juin 10

« La politesse est l’origine des vertus ; la fidélité, leur principe ; la prudence, leur condition. »

André Comte-Sponville, Petit traité des grandes vertus.

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GRILLE DE LECTURE

Dans ce célèbre traité des vertus, Comte-Sponville présente la politesse comme la première et l’origine de toutes les vertus. Une vertu est une force qui agit, une excellence qui peut agir. Une vertu est une puissance spécifique, une puissance spécifique qui commande une excellence propre. La vertu d’un être est ce qui fait sa valeur et son excellence propres. La politesse est la première vertu, mais elle est la vertu la plus pauvre, la plus superficielle et la plus discutable. Elle se moque de la morale, parce qu’un nazi poli n’est pas plus vertueux qu’une personne obséquieuse et pleine d’artifices, pas plus qu’une politesse servile ou insultante. A dire vrai, la politesse ne ressemble pas à une vertu. C’est pourtant par la politesse que la vertu s’apprend et que les valeurs s’intériorisent dès le bas âge. L’origine des vertus ne saurait en être une, à moins de nécessiter elle-même une autre origine. La politesse est l’essence des vertus mais reste une vertu pauvre, elle est antérieure à la morale, et définit l’univers de la morale. La morale n’est-elle pas une politesse de l’âme ?

Pour être la plus pauvre et la vertu des commencements, la politesse est une petite vertu, elle est une valeur insuffisante, une qualité formelle, dérisoire, si elle ne donne pas naissance à d’autres vertus. Par exemple, la politesse a besoin de fidélité comme le principe toute vertu. La vertu en tant qu’une disposition constante à faire le bien n’est rien sans fidélité, sans mémoire des valeurs passées apprises. Tout comme la mémoire est vertu, la fidélité est vertu de mémoire. Un devenir vertueux infidèle ne sera pas une vertu. L’homme, dit Comte-Sponville, n’est esprit que par la mémoire, humain que par la fidélité. L’esprit fidèle est le principe de la vertu humaine. La fidélité n’est pas une valeur parmi d’autres, elle ce par quoi il y a valeurs et vertus. Mais la fidélité répugne à la versatilité et à l’opiniâtreté. La fidélité est pire que la délation et le reniement. C’est ce qui fait dire à Vladimir Jankélévitch que la fidélité à la sottise est une sottise de plus. La fidélité est amour fidèle du bien.

La vertu n’est vertu qu’à une condition : par la prudence. Kant y voyait un amour de soi éclairé et habile. A ce titre, elle paraît trop avantageuse et trop calculatrice pour être morale. Pour les modernes, la prudence relève moins de morale que de psychologie. Néanmoins, la prudence est élevée depuis l’Antiquité grecque et le Moyen Age à la dignité de vertu cardinale. Aux côtés du courage encore appelé force d’âme, de la tempérance et de la justice, la prudence tient le 1e rang. La prudentia latine ou la phronesis grecque a été présentée par Aristote comme une vertu intellectuelle, elle se rapporte à la connaissance et à la raison. Ainsi, la prudence est cette disposition qui permet de délibérer correctement sur ce qui est bon ou mauvais pour l’homme. Elle aide à agir convenablement. C’est elle qui rend vertueuse les vertus, pourrait-on dire. C’est une intelligence vertueuse, ou mieux, le bon sens au service de la bonne volonté et de la liberté morale. Ce n’est pas un facteur d’inhibition, c’est une sagesse pratique, une vertu de l’action.

Emmanuel AVONYO, op

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Pensée du 03 juin 10

« Les livres ne servent qu’à quitter les livres, et sont faits – devraient être faits – pour cela. »

ANDRE COMTE-SPONVILLE, Une éducation philosophique

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GRILLE DE LECTURE

Pourquoi lisons-nous ? Pourquoi faut-il être aristotélicien, kantien, heideggérien, ricoeurien ? Réponse évidente à la première question ? Oui, et ce n’est pas une précaution de langage. Nous abordons les livres pour des motifs divers, et chacun sait pourquoi il lui faut lire. Certains répondraient : tout petits, nous avons appris à lire, et nous en avons gardé l’habitude. D’autres : nous lisons pour chasser l’ennui, pour nous divertir, pour trouver (retrouver) le sommeil, pour nous cultiver, pour acquérir des compétences langagières, pour connaître un auteur et sa pensée. D’autres encore diront : dans un livre, c’est tout un monde de sens qui se déploie : la vivacité des récits, le pittoresque du dialogue entre les personnages, les mots simples et évocateurs qui font vivre l’intrigue, le génie des écrivains qui allie la continuité et l’imprévu, la finesse et le surplace, tout contribue au charme insinuant des livres qui élèvent les cœurs dans la joie du bien être. C’est peut-être la raison pour laquelle Jules Renard dit un jour : si je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. Les livres seraient la garantie du bonheur, mais pas seulement ; ils seraient des amis fidèles, ceux que l’on invite au dialogue à n’importe quelle heure (Georges Sand). La lecture est une amitié (Marcel Proust). La lecture des bons livres nous abstrait du monde pour nous aider paradoxalement à lui trouver un sens. Car, dans la lecture, l’homme qui se cherche a peut-être quelque chance de se trouver.

Cependant, dans le cadre d’une éducation philosophique, la question se pose encore de savoir à quoi peut bien servir la lecture. Du « pourquoi » initial, nous passons donc au « comment faut-il être aristotélicien ? » Kant n’a-t-il pas appelé à sortir de la minorité en pensant par soi-même ? Il n’y a pas de philosophie que l’on puisse apprendre, aurait-il ajouté, on ne peut qu’apprendre à philosopher. Franchement, comment apprendre à penser sans côtoyer la pensée de ses prédécesseurs ? Évidemment, ce n’est pas ce qu’interdit Kant. Après  un séjour fécond auprès des maîtres, il faut pouvoir élaborer sa propre pensée. Les livres et les maîtres, selon Comte-Sponville, ne sont guère que des béquilles. Il faut apprendre à les quitter pour conquérir sa « majorité ». Il écrit dans le livre que nous avons cité : « Ce livre me plaît et me déplaît comme il est, honnête et imparfait, et si je ne déteste pas qu’on le loue, c’est humain, il m’importe peu qu’on l’approuve. Son principal effet sur moi fut de me libérer de lui. » Le livre ne nous est libérateur qu’à la condition d’en sortir libéré de tout. Daniel Pennac n’a-t-il pas écrit que chaque lecture est un acte de résistance, à tel point que si elle est bien menée, elle nous sauve de tout, y compris de nous-même ?

Emmanuel AVONYO, op

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Pensée du 22 avril 10

« L’esprit est une chose trop importante pour qu’on l’abandonne aux prêtres, aux mollahs ou aux spiritualistes. »

André Comte-Sponville, L’Esprit de l’athéisme

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GRILLE DE LECTURE

Que la raison n’explique pas tout, que les sciences n’expliquent pas tout, c’est une évidence. Il y a de l’inconnu, de l’incompréhensible. Il y a du mystère et il y en aura toujours. Mais de quel droit les croyants voudraient-ils s’approprier ce mystère, se le réserver, s’en faire une spécialité ? Qu’il y ait du mystère, cela ne donne raison, ni à au fanatisme de la religion, ni au dogmatisme de la raison. Cela donne tort à tout unilatéralisme, qu’il soit religieux ou rationaliste. Il est vain de croire que l’esprit soit l’apanage des hommes de religion. L’esprit est ce que croyants et non croyants ont en commun. L’esprit est une chose si importante qu’il ne saurait être l’otage de quelques « illuminés » qui expliquent quelque chose que l’on ne comprend pas (l’existence de l’univers, de la vie, de la pensée, de la mort…) par quelque chose que l’on comprend encore moins (Dieu). L’esprit n’est pas une invention des spiritualistes.

Un matérialisme sans esprit porte le germe de sa propre fin. C’est à tort que l’on pense que le matérialiste est celui qui n’a pas d’idéal, qui ne se soucie guère de spiritualité, et qui ne cherche que la satisfaction des ses propres instincts. Il faut l’esprit pour être matérialiste ou spiritualiste. C’est quand on est matérialiste qu’il faut sauver l’esprit. L’esprit, c’est la mémoire parce qu’une pensée oublieuse ou une doctrine purement scientiste, c’est une pensée peut-être, mais une pensée sans âme et sans esprit. Il n’est de pensée, il n’est de mémoire que d’esprit. L’homme n’est donc esprit que par la mémoire, et l’esprit fidèle, c’est l’esprit même. La fidélité au passé peut être cultivée par n’importe qui. On peut se passer de religion, mais on ne peut pas se passer d’amour, de fidélité et de communion où l’esprit s’exprime. La mémoire du passé est le propre de tous les hommes, si quelques-uns ne sont pas frappés d’amnésie. On n’a pas besoin d’être prédicateur avoir une vie spirituelle.

On ne doit pas s’étonner qu’un athée ait une vie spirituelle. Que je ne crois pas en Dieu, dit Comte-Sponville, cela ne m’empêche pas d’avoir un esprit, ni ne me dispense de m’en servir. Ce n’est pas parce qu’on est athée qu’on doit se châtrer l’âme. Etre athée, ce n’est pas refuser le mystère ; c’est refuser de le réduire à trop bon compte, par un acte de foi et de soumission. C’est refuser d’expliquer tout par l’inexplicable. Ainsi, croire en Dieu, c’est donner un nom à ce mystère et le ramener bien petitement à une histoire de famille, d’alliance, de pouvoir, d’amour. L’esprit est une chose trop importante, c’est la partie la plus haute de l’homme ou plutôt sa plus haute fonction, qui fait des hommes autre chose que des bêtes, plus et mieux que les animaux que nous sommes aussi. L’homme est un animal spirituel, c’est notre façon d’habiter l’univers et l’absolu, qui nous habitent, selon Comte-Sponville.

Emmanuel AVONYO, op

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Pensée du 18 février 10

« La morale répond à la question que dois-je faire ? Elle se veut une et universelle. Elle tend vers la vertu et culmine dans la sainteté. »

André Comte-Sponville, Valeur et vérité, Etudes cyniques.

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GRILLE DE LECTURE

La pensée de ce jour a des accents kantiens qu’il faut respecter pour laisser apparaître le contraste. Que dois-je faire ? est la grande question qui traverse la Critique de la raison pratique de Kant, considérée comme un traité de morale. Chez Kant, la doctrine du devoir désigne la morale alors que la doctrine du bonheur est ce que nous appelons l’éthique. Kant affirme que la distinction entre l’éthique et la morale est la première et la plus importante affaire de la raison pure pratique. Pour cette raison, la morale du devoir ne saurait se dissoudre dans l’éthique du bonheur, ni celle-ci se réduire à celle-là. La morale se plie à l’impératif catégorique, alors que l’éthique est soumise à des impératifs hypothétiques. Selon Comte-Sponville, la morale répond à la question que dois-je faire ? alors que l’éthique répond à celle de savoir comment vivre ? Comment vivre pour être heureux. Ces questions peuvent à loisir se combiner pour donner celles-ci : quelle place dois-je faire à la morale pour être heureux ? Pour être moral, quelle place dois-je faire au bonheur ? Comte-Sponville est convaincu, contre Aristote et les Antiques,  que la vertu ne suffit pas plus au bonheur que le bonheur ne suffit à la vertu.

C’est pourquoi il entreprend de proposer d’autres définitions plus opératoires que celles de Kant. La morale se définirait désormais comme le discours normatif et impératif qui résulte de l’opposition du Bien et du Mal. Etant entendu que le Bien et le Mal sont des valeurs transcendantes, des valeurs absolues et universelles qui s’imposent inconditionnellement à tous. La morale répond pour cela à la question que dois-je faire ?, elle tend vers la vertu et culmine dans la sainteté. Les principes qui doivent présider à nos choix ne sont moraux que s’ils sont extensibles à toute l’humanité, s’ils peuvent être appliqués à l’autre bout du monde sans faire du tort à quelqu’un. La vertu vers laquelle tend la morale reste une disposition acquise à faire le bien, et le bien s’apprécie universellement. Le terme « sainteté » est employé ici comme chez Kant : au sens moral, et non religieux, du terme. On parlerait par exemple de volonté « sainte » pour dire celle qui ne serait capable d’aucune maxime contraire à la loi du devoir. L’éthique quant à elle résulte de l’opposition du bon et du mauvais. L’éthique est relative et particulière. Elle tend vers le bonheur et culmine dans la sagesse. On peut bien se demander pourquoi la morale tend seulement vers la vertu. Que la vertu ne suffise pas à faire le bonheur, et que le bonheur soit hors d’atteinte totalement, qu’est-ce qui empêche le malheureux d’être vertueux ? Si le « saint » n’est pas toujours heureux, qu’est ce qui empêche le sage d’être vertueux ? Ne peuvent-ils pas assumer une disposition constante à faire le bien ? Qu’est-ce qui dispense le saint et le sage d’une disposition habituelle à bien agir, si ce n’est un désir délibéré de vider sémantiquement l’action humaine  de toute substance perfectible ? On ne se brouille pas avec les Anciens impunément.

Emmanuel AVONYO, op

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Pensée du 11 février 10

« L’humanisme est d’abord un combat pour l’homme ou, plus précisément, pour l’humanité de l’homme : il s’agit de défendre, non une espèce seulement, mais ce que celle-ci a fait de soi, non l’homo sapiens mais l’humanité civilisée. »

André Comte-Sponville, Valeur et vérité, Etudes cyniques.

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GRILLE DE LECTURE

Tous les hommes sont humanistes, ils sont humanistes d’un humanisme pratique. C’est le point de vue de Comte-Sponville. Unis par l’agir, tous les hommes sont humanistes parce que l’humanisme est le but ultime de l’action. C’est l’humanisme qui rassemble les hommes et l’action est un combat pour l’humanisme. Si l’humanisme rime parfaitement avec l’humanité de l’homme, l’engagement humain est le gage sûr du combat pour la reconnaissance de l’humain. Bien plus, ce qui fait des hommes des humains et les rend dignes de l’être, c’est la considération de l’homme comme une fin. En cela, Kant est immortel par ses émules. L’humanisme pratique se définit comme l’affirmation et la défense de l’humanité de l’homme comme une valeur. Sous ce rapport, l’humanisme pratique de Comte-Sponville est le désir affirmé d’être humain au sens normatif du  terme. C’est l’effort assumé de se soumettre à l’humanité non comme un sous ensemble de l’écologique, ou comme une simple espèce biologique, mais comme valeur.

Le bien serait, selon Spinoza, le moyen qui rapproche l’homme de plus en plus du modèle de sa nature humaine. L’humanité en tant que respect humain serait le désir de faire aux hommes seulement ce qui leur plaît. On ne peut pas faire aux hommes un bien qu’ils ne veulent pas. L’humanisme n’est pas à prendre simplement comme un principe explicatif, mais comme un effort d’adaptation aux métamorphoses de l’humanité de l’homme. L’homme n’est pas un dieu et il ne reste homme que dans cette tension vers l’homme par un combat pour sa valeur. L’humanisme pratique est un humanisme spontané dont les mères savent plus que les philosophes. Etre humain, c’est être capable de langage, et être assujetti à l’amour. De génération en génération, l’humanité s’invente auprès de la douceur et de la patience maternelles, de la langue maternelle. L’éducation terminée, on n’a jamais fini de s’humaniser. L’humanisation prend le relais de l’hominisation.

L’humanisme pratique n’appartient à personne, sinon, il n’appartient qu’à ceux qui le pratiquent en effet, c’est-à-dire, qui font preuve d’humanité, qui font de leur existence un combat pour l’homme  et ses nouveaux besoins. L’humanisme théorique, simplement pensé ne suffit pas. Il ne suffit pas mais il n’est pas un immoralisme. Voici que la question se pose : l’humanisme pratique est-il un anti-humanisme théorique ? Mais, l’humanisme pratique peut-il contrister un humanisme théorique, si « les sciences humaines ne sont pas faites pour les chiens » ? Penser l’homme dans sa vérité, dans son histoire et dans sa concrétude, c’est penser la morale dans son urgence. Un homme sans morale serait inhumain (Spinoza) car l’humanité est une valeur. L’humanisme théorique n’est pas moins un combat pour le sens de l’humain. Pour accompagner jusqu’au bout Comte-Sponville dans sa pensée, nous pourrons ajouter que tous les hommes sont humanistes, d’un humanisme théorique ou pratique. On est humaniste à respectant la diversité du regard humain.

Emmanuel AVONYO, op

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Pensée du 03 janvier 10

« Comment raconter sans choisir ? Comment choisir sans trahir ? »

ANDRE COMTE-SPONVILLE, Une éducation philosophique

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GRILLE DE LECTURE

Les questions que pose André COMPTE-SPONVILLE sont aussi profondes qu’elles nous laissent sur d’autres interrogations. Nous laisser sur d’autres interrogations, cela est une attitude philosophique, puisqu’en philosophie les questions sont toujours questionnantes. Au fond de ces questions qui invitent à penser se trame l’idée selon laquelle on ne peut pas raconter sans choisir de même qu’on ne peut pas choisir sans trahir.

Raconter c’est trier, c’est une disposition de l’esprit à choisir ce qu’il faut dire. C’est s’éduquer quand on sélectionne ce qu’on dit. Une éducation à la concision dans l’art oratoire, une éducation à ne pas dire tout ce qui nous vient à l’esprit. L’acte de penser va ensemble avec ce que l’on exprime. La dispersion dans le dire est signe du désordre intérieur, d’un bouleversement dans la pensée. Pas plus tard qu’hier Heidegger disait : « penser c’est se limiter à une unique idée », nous avons souligné que c’est une invite au choix ; et comme l’acte de penser s’incarne dans le dire, par implication, dire c’est choisir, parce que, qui choisit se limite. Le choix dans le dire est trahison de la pensée. Puisque le dire est déjà une interprétation, une interprétation de la pensée, de ce que l’on conçoit.

Mervy Monsoleil AMADI, op

L’academos

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Pensée du 11 décembre 09

« Les petitesses qu’on ne peut vaincre, autant les utiliser. »

ANDRE COMTE-SPONVILLE, Une éducation philosophique

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GRILLE DE LECTURE

Défini comme être de raison, l’homme cherche à faire de son agir une ascension vers la perfection. Il s’assigne une conduite, des règles de vie qui en principe lui rappellent qu’il n’est pas qu’un vivant parmi tant d’autres. Il est bien au contraire une fin en soi, un être précieux qui a une dignité. Au nom de cette dignité, il s’évertue à expurger de son être tout ce qui le plongerait dans une quelconque bassesse au point de l’identifier avec les autres êtres.

Pourtant, s’il est vrai que l’homme cherche à se départir de tout ce qui ne lui rend pas hommage, il n’en demeure pas moins que certaines situations d’une  affreuse résistance lui certifient paradoxalement sa condition on ne peut plus misérable. Contrairement à tous ceux qui s’épuisent à lutter contre ces situations de faiblesses non honorables, l’auteur nous invite à les utiliser. Une telle appréciation ne serait-elle pas une invitation à la résignation ?

Que non pas ! Car l’auteur par cette assertion nous invite à un refus des soi-disant modèles supérieurs d’humanité qui consiste à dire : « je ne veux pas être ainsi, je veux être comme tout le monde ». Utiliser les petitesses revient à montrer qu’il est humain de participer à la bassesse humaine, au lieu de vouloir, par orgueil, être meilleur; l’humanité vraie consiste en cela ». C’est d’ailleurs en ce sens que la pensée médiévale stipule que « l’homme n’est ni ange, ni bête, mais à égale distance entre eux, il participe de l’un et de l’autre ».

Au fond, l’acceptation de nos petitesses ne pourrait-elle pas constituer la terre fertile où pourront germer harmonieusement les fines fleurs de l’humilité ? Distinguant l’humilité de l’humiliation, l’humilité comme vertu devient cette tristesse vraie de n’être que soi. Dans l’humilité nous comprenons que nous ne sommes pas rien même si nous ne sommes pas tout.

Elvis-Aubin Klaourou

Pensée du 10 décembre

L’academos

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