« Ce livre me plaît et me déplaît comme il est, honnête et imparfait, et si je ne déteste pas qu’on le loue, c’est humain, il m’importe peu qu’on l’approuve. Son principal effet sur moi fut de me libérer de lui. »
André Comte-Sponville, Une éducation philosophique
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GRILLE DE LECTURE
Lire, c’est goûter à une forme de liberté. Notre auteur ne déteste pas qu’on loue ou qu’on approuve un livre, parce qu’il est un homme libre. Il est le produit des livres, il est une liberté façonnée par la culture. Aussi étonnant que puisse paraître ce point de vue, bien au-delà de ce que peut percevoir un œil profane, un lecteur est un Homme libre, c’est un impénitent de la liberté d’esprit, un chantre de la faculté de juger. Après la lecture, il faut pouvoir quitter l’ouvrage. L’intérêt que représente une lecture ne doit guère induire une forme d’esclavage. La lecture a beau être un « vice impuni », elle n’est pas une fin en soi. Son but suprême, c’est la liberté de l’Homme. Lire en vue de transmettre ce qu’on a contemplé, en vue de se construire soi-même, de vivre et d’être partie prenante de l’existence, c’est encore parier pour la liberté. Mais pour quelle liberté ? Avant tout pour la liberté de l’esprit qui ne prend plus rien pour parole d’évangile et qui ose s’affirmer comme un sujet humain. Pour Comte-Sponville, la lecture n’est pas la finalité de la lecture. On ne peut pratiquer la lecture que comme un art du penser, du savoir-vivre, du savoir-être. Les livres sont des échelles sur lesquelles il faut monter pour voir plus loin que les auteurs eux-mêmes. A ce titre, la lecture n’est pas qu’une alternative à l’Action. Elle est une autre forme d’Action, le point de départ de l’Action libre qui prend en charge la fragilité de l’humaine condition.
Le philosophe qui fréquente les livres ne saurait être un vicariant de la pensée ou un agitateur de citations d’auteurs. Il doit être un homme qui ose penser par lui-même, après s’être approprié les matériaux offerts généreusement par l’histoire de la pensée. Dans la préface de l’ouvrage Les femmes qui lisent sont dangereuses (Laure Adler & Stephan Bollmann, 2006), nous lisons : « Ecrire, c’est produire le texte. Lire, c’est le recevoir d’autrui sans y marquer sa place, sans le refaire. » Après la lecture, il faut encore lui marquer sa place, il faut le refaire. Le « faire » est à prendre au sens grec du « créer ». Si la lecture est une Action créatrice d’un nouveau soi, d’un soi autre que le moi qui vient à la lecture (Ricœur), elle nous libère de tout, y compris de nous-même. Elle nous libère des déterminismes et des préjugés, de l’étroitesse d’esprit et de l’obscurantisme, elle nous façonne une armure pour le combat de la vie. Laure Adler ajoute : « Penser c’est vivre. Vivre c’est penser. Pas de pensée sans prise de risque. Pas de pensée qui ne soit un affrontement personnel avec le monde. Penser, c’est aussi frôler le précipice, assumer le désespoir et la solitude qui peuvent en résulter » (Laure Adler, Dans les pas de Hannah Arendt).
Emmanuel AVONYO, op
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